CA Paris, 15 juin 2018, n°17/08050
Le preneur bénéficiaire d’une procédure de conciliation et ayant été mis en demeure par son bailleur pour défaut de règlement des loyers peut solliciter du Président du Tribunal de commerce des délais de paiement.
Ce qu’il faut retenir : Le preneur bénéficiaire d’une procédure de conciliation et ayant été mis en demeure par son bailleur pour défaut de règlement des loyers peut solliciter du Président du Tribunal de commerce des délais de paiement. La décision par laquelle le Président du Tribunal de commerce octroie de tels délais permet de suspendre les effets de la clause résolutoire stipulée dans le bail sous réserve du respect, par le preneur, des délais de paiement préalablement accordés et d’une décision en ce sens du Président du Tribunal de grande instance.
Pour approfondir : En l’espèce, la SCI R conclu, avec la société S, un bail le 28 juin 2010 portant sur un local.
Cette mise en demeure étant restée infructueuse, la SCI R décide de mettre en demeure la société S afin qu’elle règle les loyers impayés.
Par la suite, la SCI R décide de délivrer le 25 septembre 2016 à la société S un commandement de payer les loyers impayés et visant la clause résolutoire du bail commercial.
Toutefois, ce commandement demeure également infructueux.
C’est dans ces conditions que la SCI R décide d’assigner en référé la société S devant le Tribunal de grande instance de Bobigny afin de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et sa condamnation au paiement des arriérés de loyers.
La société S, bénéficiaire d’une procédure de conciliation, décide d’assigner, à son tour, la SCI R devant le Président du Tribunal de commerce de Bobigny afin d’obtenir des délais de paiements ainsi que la réduction du taux d’intérêt contractuel outre la suspension de la réalisation et des effets de la clause résolutoire.
La société S se fonde ainsi sur les dispositions de l’alinéa 5 de l’article L.611-7, lesquelles disposent que :
« Au cours de la procédure, le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l’article 1343-5 du Code civil. Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur. Il peut subordonner la durée des mesures ainsi prises à la conclusion de l’accord prévu au présent article. Dans ce cas, le créancier intéressé est informé de la décision selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat ».
Par ordonnance du 5 janvier 2017, le Président du Tribunal de commerce de Bobigny accueille la demande de délais de paiement de la société S, mais se déclare incompétent pour statuer sur les demandes relatives à la clause résolutoire.
Par ordonnance du 10 mars 2017, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bobigny considère, quant à lui, qu’il n’y a pas lieu à référé et rejette la demande en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire de la SCI R.
A cet égard, il convient de préciser que dans l’hypothèse où le Président du Tribunal de commerce n’aurait pas rendu sa décision concernant l’octroi des délais de paiement, le juge des référés aurait dû surseoir à statuer dans l’attente de cette décision, conformément aux dispositions de l’article R.611-35, alinéa 2.
Insatisfaite de la décision rendue par le juge des référés, la SCI R décide d’interjeter appel devant la Cour d’appel de Paris.
Dans le cadre de cet appel, la société S, intimée, sollicite la suspension des effets de la clause résolutoire en invoquant, à ce titre, la force exécutoire de l’ordonnance du 5 janvier 2017 par laquelle le Président du Tribunal de commerce de Bobigny lui a octroyé des délais de paiement.
Par arrêt du 15 juin 2018, les juges du fond infirment l’ordonnance rendue le 10 mars 2017 et ordonnent la suspension des effets de la clause résolutoire.
En effet, la juridiction d’appel parisienne précise que la décision du Président du Tribunal de commerce de Bobigny du 5 janvier 2017 d’octroyer des délais de paiement à la société S « bénéficiait de la force exécutoire et s’imposait à la juridiction ».
Dans ces conditions, selon la Cour d’appel, le Tribunal de grande instance aurait dû suspendre les effets de la clause résolutoire.
Si cette position apparaît plutôt en faveur du preneur bénéficiaire d’une procédure de conciliation, elle s’avère, en revanche, plutôt classique en la matière.
En effet, les dispositions commerciales prévoient, aux termes de l’article L.145-41 du Code de commerce, que :
« Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge ».
Il résulte de ce texte que si le juge saisi a la possibilité d’octroyer des délais de paiement, en revanche, cet octroi entraîne de facto la suspension des effets de la clause résolutoire.
Par ailleurs, il convient de noter l’originalité de la décision dans la mesure où la suspension des effets de la clause résolutoire est prononcée par une juridiction n’ayant pas octroyé des délais de paiement.
En effet, classiquement, la même juridiction octroie des délais de paiement et ordonne la suspension des effets de la clause résolutoire.
A cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal de grande instance dispose, en matière de suspension des effets d’une clause résolutoire d’un bail commercial, d’une compétence exclusive (article R.211-4 du Code de l’organisation judiciaire).
Par ailleurs, il convient de préciser que la suspension des effets de la clause résolutoire n’est prononcée que dans l’hypothèse où les délais de paiement sont respectés par le preneur.
A cet effet, la Cour d’appel rappelle que :
« En cas de défaut de paiement des sommes dues à l’échéance fixée, la clause résolutoire retrouverait son plein effet ».
Par conséquent, si l’octroi de délais de paiement apparaît comme une mesure de prévention des difficultés puisqu’elle permet notamment de suspendre les effets de la clause résolutoire stipulée dans un bail, son efficacité reste soumise au respect, par le preneur, des échéances de paiement.
A rapprocher : Article L.611-7 du Code de commerce ; Article L.145-41 du Code de commerce ; Article R.611-35, alinéa 2 ; Article R.211-4 du Code de l’organisation judiciaire ; Application des délais de grâce prévus par l’article 1244-1 du Code civil dans le cadre d’une procédure de conciliation ; Obtention des délais de paiement dans le cadre d’une procédure de conciliation