Cass. com., 17 novembre 2021, n°20-14.420 et 20-14.582
En cas de revente d’un bien à un sous-acquéreur, le vendeur initial, bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété, peut revendiquer ledit bien en nature directement entre les mains du sous-acquéreur. Cette action, qui est fondée sur les dispositions de l’article 2276 du Code civil et non sur celles de l’article L.624-16 du Code de commerce, suppose donc d’établir non pas que le bien se retrouvait en nature dans le patrimoine du sous-acquéreur lors de l’ouverture de sa procédure collective, mais que celui-ci était entré en sa possession de mauvaise foi.
En l’espèce, trois sociétés appartenant à un même groupe, ont été placées en redressement judiciaire puis en liquidations judiciaires.
L’une d’entre elles assurait la fonction de centrale d’achat au profit des deux autres sociétés soeurs. Dans ce cadre, la centrale d’achat avait acquis des marchandises avec réserve de propriété auprès d’un vendeur et les avait par suite cédées à une société soeur, qui en est donc devenue sous-acquéreur.
Les factures n’ayant pas été honorées par la centrale d’achat, le vendeur initial a, dans un premier temps, tenté de revendiquer lesdites marchandises dans le cadre de sa procédure collective.
N’ayant obtenu que satisfaction partielle, le créancier a par suite, tenté d’obtenir gain de cause dans le cadre de la procédure collective de la société soeur, sous-acquéreur des marchandises et, pour ce faire, a présenté une demande de revendication auprès des administrateurs judiciaires de celle-ci.
Cette seconde demande ayant été rejetée, le créancier a, par suite, saisi le juge-commissaire pour revendiquer en nature les biens visés dans ses factures et vendus avec réserve de propriété.
Initialement rejetée par le juge-commissaire, sa requête a finalement été accueillie par la Cour d’appel de Paris, laquelle a ordonné la restitution en nature des biens revendiqués.
Les liquidateurs judiciaires de la société sous-acquéreur se sont alors pourvus en cassation sur le fondement des articles L.624-16 du Code de commerce et 2276 du Code civil. Ceux-ci considéraient que « l’une des conditions de la revendication, par un créancier, auprès du sous-acquéreur de mauvaise foi en liquidation judiciaire, est la possession desdits biens, autrement dit, leur existence en nature dans le patrimoine de la société au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective. ». Or, ils estimaient qu’en l’espèce, la cour d’appel n’avait pas constaté l’existence des biens revendiqués au jour du jugement d’ouverture et, partant, avait violé les articles L.624-16 du Code de commerce et 2276 du Code civil.
Par le présent arrêt, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
La Haute juridiction rappelle en effet que la cour d’appel était en l’espèce saisie en raison de la revente des marchandises par la centrale d’achat à la société sous-acquéreur, d’une demande de revendication en nature fondée sur les dispositions de droit commun de l’article 2276 du Code civil et non sur celles de l’article L.624-16 du Code de commerce.
Dès lors, la Cour d’appel devait rechercher, non pas si les marchandises se retrouvaient en nature dans le patrimoine de la société sous-acquéreur lors de l’ouverture de sa procédure collective (condition exigée par l’article L.624-16, alinéa 2 du Code de commerce), mais si cette société était entrée en leur possession de mauvaise foi (condition d’application de l’action fondée sur l’article 2276 du Code civil.)
La présente décision est conforme à la position de la Cour de cassation.
L’on sait en effet qu’en vertu du premier des deux textes, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété peuvent être revendiqués s’ils se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure collective (C. com., art. L.624-16, al. 2).
Cette action en revendication suppose que le débiteur détienne lui-même les biens vendus ou qu’ils soient détenus par un tiers pour son propre compte (Cass. com. 3 déc. 1996, n°94-21.227). A contrario, la demande en revendication doit être rejetée lorsqu’il n’est pas établi que le tiers en possession des biens les détient pour le compte du débiteur (Cass. com., 8 mars 2017, n°15-18.614).
Faisant application de ce raisonnement, la Cour de cassation avait pu considérer que le sous-acquéreur d’un bien initialement acquis avec réserve de propriété ne pouvait détenir à titre précaire ledit bien pour le compte de son propre vendeur (Cass. com., 3 nov. 2015, n°13-26.811).
Telle est implicitement la solution rappelée en l’espèce par la Cour de cassation. En effet, dans la présente affaire, les marchandises initialement vendues à la centrale d’achat avec réserve de propriété avaient, par suite, été cédées à une autre société du groupe. Dans la mesure où les marchandises lui avaient été revendues, cette dernière ne détenait donc pas les marchandises pour le compte de la centrale d’achat débitrice. Par conséquent, la demande de revendication du créancier ne pouvait être fondée sur l’article L.624-16 du Code de commerce.
Seule une action fondée sur l’article 2276 du Code civil était envisageable.
A ce sujet, il convient de rappeler que l’acquéreur a non domino (qui n’a pas acquis le bien du véritable propriétaire) peut s’opposer à la demande de revendication exercée contre lui sur le fondement de cette disposition, en vertu de laquelle « en fait de meubles, possession vaut titre ». Néanmoins, le bénéfice de cette règle est, de façon classique, subordonné à la bonne foi de l’acquéreur. En effet, cette disposition doit être écartée et la demande de revendication du véritable propriétaire accueillie, lorsque l’acquéreur est de mauvaise foi, c’est-à-dire lorsque celui-ci savait, au moment où il a acquis le bien, que ce meuble n’appartenait pas à son vendeur.
Par voie de conséquence, le succès de l’action en revendication exercée contre le sous-acquéreur d’un bien et fondée sur l’article 2276 du Code civil nécessite de prouver sa mauvaise foi (Cass. com., 15 déc. 2015, n°13-25.566). C’est précisément ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt commenté lorsqu’elle indique que « la cour d’appel devait rechercher, non pas si les marchandises se retrouvaient en nature dans le patrimoine de la société sous-acquéreur, lors de l’ouverture de sa procédure collective, mais si cette société était entrée en leur possession de mauvaise foi. »
Or, en l’espèce, eu égard aux mentions figurant sur les documents commerciaux du vendeur, au fonctionnement interdépendant des sociétés appartenant au même groupe, à leur sort commun dans le cadre de leur procédure collective et au courant d’affaires entre les sociétés du groupe et le vendeur, la société sous-acquéreur ne pouvait ignorer l’existence d’une clause de réserve de propriété, pas plus qu’elle ne pouvait ignorer que les marchandises n’avaient pas été réglées par la centrale d’achat. En l’état de ces éléments, elle ne pouvait donc ignorer que par application de cette clause, la centrale d’achat n’était pas propriétaire des marchandises litigieuses. Sa mauvaise foi étant établie, c’est donc à juste titre que les juges du fond ont ordonné la restitution en nature des biens revendiqués entre les mains de la société sous-acquéreur.
A rapprocher: C. com., art. L.624-16 ; C. civ., art. 2276 ; Cass. com. 3 déc. 1996, n°94-21.227 ; Cass. com., 8 mars 2017, n°15-18.614 ; Cass. com., 3 nov. 2015, n°13-26.811 ; Cass. com., 15 déc. 2015, n°13-25.566