Cass. com., 16 juin 2021, n°20-15.048
L’action en nullité et en restitution de plusieurs paiements d’échéances de remboursement d’un prêt souscrit avant le jugement d’ouverture doit être engagée dans le délai de trois ans à compter de chaque paiement d’échéance argué de nullité, et non pas à compter du dernier paiement reçu par le créancier. Par ailleurs, dans la mesure où cette créance de restitution est recouvrée par le liquidateur dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers, celle-ci ne peut se compenser avec la créance due au titre des échéances de remboursement du prêt impayées.
En l’espèce, un couple a souscrit en 2009 un prêt immobilier auprès d’une banque.
En 2010, soit postérieurement, l’un d’entre eux a bénéficié de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.
Le prêt n’ayant pas été entièrement soldé, la banque a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur.
Postérieurement à l’ouverture de la liquidation judiciaire, les époux ont poursuivi le paiement des échéances de remboursement du prêt jusqu’au mois d’août 2016.
Or, de jurisprudence constante, les échéances de remboursement d’un prêt accordé au débiteur avant le jugement d’ouverture constituent des créances antérieures (Cass. com., 11 mai 2010, n°09-13.106) qui sont par conséquent soumises au principe d’interdiction des paiements édicté par l’article L.622-7, I du Code de commerce en vertu duquel « Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes. »
Le liquidateur a donc assigné la banque prêteuse le 16 janvier 2018 aux fins d’obtenir l’annulation des paiements intervenus après le jugement d’ouverture en violation de cette disposition et, ainsi, la restitution des sommes correspondantes.
La cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, 16 janv. 2020, n°18/05145) a débouté le liquidateur de sa demande, considérant en premier lieu que son action était partiellement prescrite sur le fondement de l’article L.622-7, III du Code de commerce.
Le liquidateur s’est pourvu en cassation soutenant que l’action en nullité des paiements partiels d’une créance antérieure au jugement d’ouverture se prescrivait par 3 ans à compter, non pas de chaque échéance réglée (telle que les juges d’appel l’avaient retenu), mais du dernier paiement reçu par le créancier ; cette solution se justifiant selon lui par le fait que la créance était indivisible.
Par un arrêt du 16 juin 2021, la Cour de cassation rejette cette argumentation.
La Haute juridiction rappelle en effet les termes de l’article L.622-7, III du Code de commerce (applicable à la procédure de liquidation judiciaire sur renvoi de l’article L.641-3, I) en vertu duquel le délai de prescription de 3 ans de l’action en nullité d’un paiement d’une créance opéré en violation de l’article I de ce texte court à compter de ce paiement. Elle en déduit ainsi que l’action en nullité de plusieurs paiements d’échéances successives de remboursement d’un prêt doit être engagée dans un délai de 3 ans suivant chaque paiement d’échéance argué de nullité.
La Cour de cassation approuve par conséquent les juges d’appel d’avoir relevé que l’action en annulation introduite en l’espèce par le liquidateur le 16 janvier 2018 ne pouvait porter que sur les échéances du prêt payées par le débiteur à partir du 16 janvier 2015, de sorte que la demande de remboursement des échéances antérieures à cette date était prescrite.
La cour d’appel de Grenoble avait en second lieu fait droit à la demande de compensation formulée par la banque entre, d’une part, sa créance telle que déclarée et admise au passif de la procédure et, d’autre part, sa dette de restitution au titre des paiements d’échéances litigieux.
L’on sait en effet que la compensation de créances connexes constitue une exception légale à l’interdiction des paiements de créances antérieures (C. com., art. L.622-7, I) et que la jurisprudence admet, de façon constante, la connexité des créances qui résultent d’un même contrat ou d’un ensemble contractuel unique (Cass. com. 9 mai 1995, n°93-11.724). En l’espèce, les juges du fond avaient considéré que la créance « résultant des échéances du prêt impayé et celles de la liquidation judiciaire résultant de paiements intervenus en contravention avec l’article L.622-7 du code de commerce, [étaient] connexes » dès lors qu’elles avaient « pris naissance à l’occasion d’un ensemble contractuel unique. »
Ce raisonnement est cependant rejeté par la Cour de cassation, laquelle casse et annule l’arrêt au visa de l’article 1347 du Code civil et des articles L.622-7, L.622-20 alinéa 4 et L.643-8 du Code de commerce.
Aux termes de l’arrêt du 16 juin 2021 commenté, la Haute juridiction rappelle tout d’abord que la nullité édictée par l’article L.622-7 du Code de commerce a pour but de rétablir l’égalité entre les créanciers soumis à la discipline collective de la procédure.
Elle rappelle également qu’il résulte de la combinaison de l’article L.622-20, alinéa 4 et L.643-8 du même code que les sommes recouvrées par le liquidateur au titre de la restitution par le créancier du montant des paiements opérés par le débiteur en violation de l’article L.622-7 entrent dans le patrimoine du débiteur afin d’être réparties entre tous les créanciers.
Par conséquent, la Cour de cassation en déduit que la créance admise au passif du débiteur ne peut se compenser avec la dette de restitution de la banque prêteuse.
En effet, en vertu de l’article 1347 du Code civil, au visa duquel est rendue la présente décision, la compensation ne peut s’opérer qu’en présence d’« obligations réciproques entre deux personnes ». Or, « les sommes recouvrées à l’issue des actions introduites par le mandataire judiciaire (…) entrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de l’entreprise selon les modalités prévues pour l’apurement du passif » (C. com., art. L.622-20, al. 4) ou, sont, en cas de liquidation judiciaire, « répartie[s] entre tous les créanciers au marc le franc de leurs créances admises » (C. com., art. L.643-8).
Ces dispositions s’opposent à toute connexité et, partant, à toute compensation entre la créance antérieure détenue par un seul créancier et la dette de restitution mise à sa charge par suite d’une action intentée par le représentant des créanciers, le résultat de cette action devant en effet bénéficier à la collectivité des créanciers.
La solution n’est pas nouvelle et avait déjà été adoptée par la Cour de cassation à propos d’une créance de restitution consécutive à la nullité de la période suspecte (Cass. com., 24 oct. 1995, n°94-10.399 ; Cass. com., 19 févr. 2008, n°06-21.018) ou encore à propos d’une somme recouvrée à l’issue d’une action en responsabilité intentée contre un créancier (Cass. com., 7 avr. 2009, n°08-10.427 ; Cass. com., 28 mars 1995, n°93-13.937 ; Cass. com. 6 mai 1997, n°94-20.855).
La Haute juridiction transpose donc en l’espèce cette solution à la créance de restitution consécutive à une action en nullité sur le fondement de l’interdiction de paiement des créances antérieures édictée par l’article L.622-7 du Code de commerce.
A rapprocher : C. com., art. L.622-7 ; Cass. com., 11 mai 2010, n°09-13.106 ; C. civ., art. 1347 ; C. com., art. L622-20 ; C. com., art. L.643-8 ; Cass. com., 24 oct. 1995, n°94-10.399 ; Cass. com., 19 févr. 2008, n°06-21.018 ; Cass. com., 7 avr. 2009, n°08-10.427 ; Cass. com., 28 mars 1995, n°93-13.937 ; Cass. com., 6 mai 1997, n°94-20.855