Cass. soc., 9 juin 2021, n°19-23250, F-D
En présence d’une perte de marché, même dans un secteur relevant d’une convention collective organisant le transfert des contrats de travail affectés au marché, il ne peut être fait l’économie de l’analyse préalable de la réunion, ou non, des conditions de mise en œuvre de l’article L.1224-1 du Code du travail.
Une salariée employée par la société ELRES comme cuisinière au sein d’une clinique, est en arrêt de travail pour maladie professionnelle à compter du 20 août 2012. Le 1er janvier 2015, elle passe au service de la société SOGERES, nouvel attributaire du marché. La société SOGERES la licencie pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 2 septembre 2015.
La salariée fait grief à la société SOGERES de ne pas avoir mis en œuvre la procédure de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle (consultation des délégués du personnel, doublement de l’indemnité légale de licenciement).
En réponse, la société SOGERES, suivie dans son raisonnement par le conseil de prud’hommes et la cour d’appel, considère que le transfert étant intervenu en application des dispositions de la convention collective relative au changement de prestataires de services, la maladie professionnelle survenue chez l’ancien employeur ne lui était pas opposable en application de l’article L.1226-6 du Code du travail.
La Cour de cassation juge en effet qu’en cas de transfert régi par accord collectif, la reconnaissance de la maladie professionnelle établie chez le précédent employeur et la protection qui en résulte ne s’impose pas au repreneur du marché.
La salariée forme un pourvoi.
Dans cet arrêt du 9 juin 2021, la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel, lui reprochant de ne pas avoir caractérisé l’inapplicabilité de l’article L.1224-1 du Code du travail avant de décider que la relation était soumise aux dispositions de la convention collective.
Depuis 1985, la règle selon laquelle l’article L.1224‐1 du Code du travail ne s’applique pas à la seule perte d’un marché est posée. Mais cette règle a toujours été assortie d’une exception, l’existence d’un transfert d’entité autonome.
A travers cet arrêt, conforme à sa jurisprudence constante, la Cour de cassation rappelle que l’analyse doit porter en priorité sur l’existence ou non de cette exception.
Si l’entité transférée est autonome, l’article L.1224-1 du Code du travail s’applique, même en présence d’une convention collective organisant le sort des contrats de travail en cas de changement de prestataire.
Or les conséquences d’un transfert conventionnel ou d’un transfert légal diffèrent largement.
En l’espèce, si la cour d’appel de renvoi juge que les conditions de l’article L.1224-1 du Code du travail sont réunies, l’ancienne salariée, qui avait plus de 35 ans d’ancienneté au moment de la rupture, pourra formuler auprès de son dernier employeur l’ensemble de ses demandes et notamment le doublement de l’indemnité légale de licenciement.
A rapprocher : Cass. plén., 15 novembre 1985, req. n°82-40.301 (absence de corrélation nécessaire entre perte de marché et transfert) ; Cass. soc., 14 mars 2007, n°05-43.184 (transfert conventionnel et L.1226-6 du Code du travail)