CE, Chambres réunies, 16 avril 2021, n°426687
Même si, en cas de redressement et de liquidation judiciaires, une seule réunion du comité d’entreprise est en principe prévue par l’article L.1233-58, le recours à un expert, destiné à éclairer le comité d’entreprise, justifie qu’il soit réuni une seconde fois afin de ne pas priver d’effet le recours à l’expertise…
…Il appartient alors à l’administration de s’assurer que les deux avis du comité d’entreprise ont été recueillis après que ce dernier a été mis à même de prendre connaissance des analyses de l’expert ou, à défaut de remise du rapport de l’expert, à une date à laquelle, eu égard notamment aux délais propres à la procédure ouverte par le tribunal de commerce et aux diligences de l’employeur, l’expert a disposé d’un délai suffisant pour réaliser sa mission permettant au comité d’entreprise de formuler ses avis en connaissance de cause.
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La société Bois Debout est admise au bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire. Durant la période d’observation, une procédure de restructuration est mise en œuvre sur le fondement de l’article L.631-17 du Code de commerce. Dans ce cadre, le comité d’entreprise nomme un expert. Après avoir, par deux fois refusé, la DIRECCTE rend une décision d’homologation du document unilatéral. Le comité d’entreprise et le syndicat CGT de la Guadeloupe contestent cette décision et saisissent le tribunal administratif. Par une première décision rendue le 28 juin 2018, le tribunal rejette la requête. Par un arrêt rendu le 17 octobre 2018, la Cour administrative de Bordeaux annule le jugement et la décision d’homologation en retenant principalement une irrégularité dans la procédure d’information-consultation du comité d’entreprise en ce que le délai fixé par l’article L.1233-30 II du Code du travail n’avait pas été respecté (délai préfix fixé par la loi pour encadrer les avis du comité d’entreprise) ne permettant pas, dans ces conditions, à l’expert nommé de rendre son rapport.
Le Conseil d’Etat était, ainsi, pour parti saisi d’une question inédite : le Comité d’entreprise (aujourd’hui CSE) d’une société placée en redressement judiciaire et faisant l’objet d’un plan de sauvegarde de l’emploi peut-il recourir à l’assistance d’un expert et, dans l’affirmative, sous quelle(s) condition(s) ?
La question était intéressante dans la mesure où la procédure d’information-consultation du comité social et économique répond à des règles particulières et dérogatoires tirées principalement des dispositions figurant à l’article L.1233-58 I du Code du travail. Notamment, ce texte ne prévoit qu’une seule réunion du comité social et économique ce qui exclue, a priori, la désignation d’un expert qui nécessite la tenue d’une seconde réunion. De même, dans l’hypothèse où une telle désignation serait possible, quel délai doit-on tenir entre les deux réunions eu égard aux spécificités de l’entreprise en difficulté ?
La Haute juridiction administrative répond, comme à son habitude, avec rigueur et pragmatisme.
Rigueur sur la première question :
Malgré les dispositions de l’article L.1233-58 I du Code du travail qui ne prévoit qu’une seule réunion, « le recours à l’expert, destiné à éclairer le comité d’entreprise (ou le comité social et économique), justifie qu’il soit réuni une seconde fois afin de ne pas priver d’effet le recours à l’expertise » et ce, quelle que soit la situation juridique de l’entreprise. Rappelons que, dans ce cadre, l’expert doit être impérativement désigné lors de la première réunion.
Pragmatisme sur la seconde question :
En annulant l’arrêt de la Cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat ne fait que constater une violation manifeste de l’article L.1233-58 I (3°et 4°) qui exclut expressément l’application de l’article L.1233-30 II du Code du travail et donc des délais préfix prévus par ce texte. Quel est alors le délai suffisant nécessaire à l’expert pour déposer son rapport ?
En période d’observation, le séquençage théorique fait apparaître un délai de 36 jours minimum entre la désignation et le dépôt du rapport. Le Conseil d’Etat retient qu’« [i]l appartient alors à l’administration de s’assurer que les deux avis du comité d’entreprise ont été recueillis après que ce dernier a été mis à même de prendre connaissance des analyses de l’expert ou, à défaut de remise du rapport de l’expert, à une date à laquelle, eu égard notamment aux délais propres à la procédure ouverte par le tribunal de commerce et aux diligences de l’employeur, l’expert a disposé d’un délai suffisant pour réaliser sa mission dans des conditions permettant au comité d’entreprise de formuler ses avis en connaissance de cause ».
En l’espèce, un délai de 25 jours a été retenu comme suffisant. Mais attention ! Il convient préalablement que l’expert ait pu obtenir de l’employeur, dans les délais utiles, la documentation nécessaire à sa mission. Il convient donc d’être extrêmement prudent dans les diligences à accomplir dans la transmission des documents à l’expert afin de ne pas retarder le dépôt du rapport de l’expert, ou pire, de voir annuler la décision administrative. La discussion portera donc principalement sur la notion de « documents utiles » dont la transmission est nécessaire à l’expertise, « le comité d’entreprise devant disposer de tous les éléments utiles pour formuler ses avis en toute connaissance de cause ».
Rappelons que si les délais de l’expertise ne sont pas encadrés en période d’observation, ils le sont dans le cadre du plan de continuation (L.631-19 du Code de commerce), du plan de cession (L.631-22 du Code de commerce) ou en liquidation judiciaire (L.641-4 du Code de commerce).
A rapprocher : CE, 21 octobre 2015, n°382633 ; CE, 23 novembre 2016, n°388855 ; Conclusions Frédéric DIEU, semaine sociale Lamy, 7 juin 2021, n°1957 ; PSE : Loyauté et effectivité de l’obligation d’information-consultation des IRP, Sonia Norval-Grivette, Dalloz, 10 mai 2021