Conseils pratiques
La gestion de crise est une technique avec ses codes et modalités. Cet article propose une grille de lecture synthétique des questions essentielles à traiter.
Face à la crise sanitaire et à ses conséquences économiques et financières, l’Etat a fait le maximum. Il faut s’en féliciter. Mais l’incertitude domine. Les PGE créent des problèmes de solvabilité aux entreprises faisant face à la contraction de leurs marchés et de leurs marges.
La crise a accéléré le besoin de transformation de certains business modèles. La rétractation des marchés impose d’adapter des structures de financement devenues brutalement surdimensionnées. Mais nombre d’entreprises concernées n’ont pas les moyens financiers pour faire face à l’intensité de l’effort requis. Le Ministre de la justice l’a souligné, l’anticipation et le recours aux procédures de prévention sont la clef pour faire face à ces situations complexes.
Pourquoi et comment ? La gestion de crise est une technique avec ses codes et modalités. Cet article propose une grille de lecture synthétique des questions essentielles à traiter.
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AGIR QUAND ON A ENCORE DES MARGES DE MANOEUVRE
Il ne faut pas attendre la crise de trésorerie pour agir. Le temps est le principal ennemi :
[LE DÉCLIN DE L’ENTREPRISE]
En temps de crise, maximiser le cash et le temps est un réflexe salvateur. Avoir du temps peut permettre d’imaginer des solutions de sortie de crise nécessitant une transformation profonde de l’entreprise en s’appuyant sur ses forces vives et ses actionnaires historiques.
A l’inverse, la contraction du calendrier réduit les options disponibles et impose la nécessité d’une reconfiguration brutale du périmètre d’activité ou remet en cause l’indépendance de l’entreprise.
Dans la situation actuelle il faut donc conduire un « test de pérennité », c’est-à-dire d’analyser le risque d’une crise de liquidité pouvant engager le pronostic vital de l’entreprise, en dressant un prévisionnel mensuel de trésorerie permettant d’identifier l’existence d’un mur de trésorerie infranchissable.
S’il est identifié, il faut alors sans délai ouvrir une procédure de prévention des difficultés (mandat ad hoc & conciliation). Pourquoi ? Le monde des affaires n’est pas adapté à l’entreprise en situation de faiblesse qui devient une proie.
Face à une fragilité, il faut changer la donne en plaçant l’entreprise dans un cadre dont les règles et acteurs sont dédiés à guérir les fragilités de l’entreprise.
C’est le cas du mandat ad hoc et de la conciliation qui sont des procédures confidentielles, dans lesquelles l’entreprise va se faire assister d’un administrateur judiciaire agissant es qualités de mandataire ad hoc ou de conciliateur.
ANTICIPER POUR ÉVITER UN DÉSALIGNEMENT D’INTÉRÊT ENTRE L’ENTREPRISE ET L’ACTIONNAIRE ET MAINTENIR UN DIALOGUE AVEC LES PRETEURS
L’actionnaire a une position ambivalente. Désireux de favoriser la reconfiguration financière et opérationnelle de la société pour assurer sa pérennité, il doit aussi optimiser sa valeur et protéger ses intérêts propres (R.O.I, calendrier de liquidité, image, responsabilité). Sa stratégie est structurante dans la définition des solutions. Anticiper ses intérêts et sa capacité à agir, en fonction de sa typologie (familiale, financière, entrepreneuriale, industrielle), de ses moyens, ou de son histoire avec la société, sont des éléments clefs du diagnostic global.
Ce sujet est prégnant pour les entreprises sous LBO – la durée des effets du COVID venant modifier l’horizon d’investissement des investisseurs professionnels – et pour les réseaux multi-enseignes dont certaines font face à une remise en cause accélérée de leur business model.
Attendre la crise de liquidité peut imposer un processus de restructuration financière de l’entreprise, voire une cession de la participation défaillante.
Impliquer les préteurs en temps utile peut éviter qu’ils se limitent à constater l’accroissement du risque et choisir de réduire leur exposition en réduisant leurs lignes ou en cédant leurs dettes à risques sur le marché au profit de hedge funds ou de fonds prédateurs procédant à une prise de contrôle par conversion d’une partie de la dette.
L’anticipation permet de proposer une restructuration répartissant les efforts et d’emporter l’adhésion.
CONSTITUER UN OUTIL DE LUCIDITÉ ET DE CONVICTION
Diriger en temps de crise est un exercice éprouvant et le plus souvent inédit.
Pour se préserver du risque de déni et de l’auto-conviction, il est essentiel de constituer une équipe projet rompue aux situations spéciales, avec des compétences internes et externes adaptées à la situation, complémentaires et indépendantes les unes des autres.
Elle posera un diagnostic objectif et complet restaurant la lucidité des acteurs, objectivant les problématiques, et permettant une prise de hauteur afin de concentrer la totalité des actions et des moyens sur l’objectif fixé.
Il permettra de poser les différentes alternatives possibles de sortie de crise, les objectifs auxquels elles correspondent, puis de s’engager résolument vers celle qui est choisie, en actionnant les bons leviers, en impliquant les bons acteurs clefs, et en évacuant – le temps est un actif – les solutions non praticables au bon moment.
Parce qu’on est toujours suspecté d’être subjectif, pour être entendu, le plan de sortie de crise s’appuiera sur les analyses indépendantes de l’équipe projet, qui viendront étayer la rationalité et la crédibilité des choix effectués et le calendrier de déploiement des actions correctives envisagées.
GÉRER LES TROIS CALENDRIERS DE LA CRISE POUR METTRE EN PLACE UNE SOLUTION DE PÉRENNITÉ
[CALENDRIER N°1 : L’URGENCE CASH]
Le principe est de passer au crible sur un rythme hebdomadaire les prévisions d’encaissements et de décaissement à court terme (3 mois), de challenger les hypothèses opérationnelles sous-jacentes, et d’actionner les leviers qui vont permettre de repousser l’asphyxie financière. Pour cela il faut :
- Cesser de subir pour piloter et déterminer la capacité de l’entreprise à surmonter l’urgence cash en établissant des prévisions d’exploitation et de trésorerie hebdomadaires glissantes sur un horizon de 3 mois et remises à jour chaque semaine. Ces prévisions doivent identifier les pics de trésorerie à court terme et intégrer en variables des « hypothèses de sensibilité » de manière à ce que le plan de trésorerie anticipe les conséquences des évènements positifs ou négatifs encore incertains. On anticipera la saisonnalité de l’activité et on prendra en compte avec prudence la probabilité de dégradation du BFR du fait de la réduction des couvertures d’assurance-crédit.
- Préserver les moyens de financement en place en tirant au maximum les lignes bancaires court terme ;
- Dégager des marges de manœuvres :
- Optimisation des financements court terme existants et identification de ceux pouvant être mis en place tels que les crédits de campagnes, les crédits de trésorerie, la mobilisation de créances, le crédit documentaire, les gages sur stocks, etc. ;
- Nettoyage de la balance âgée par la mise en place d’opérations de recouvrement « coup de poing » ;
- Identification et mobilisation des créances fiscales (crédit de TVA, CICE, CIR, etc.) ;
- Identification des leviers additionnels : report du paiement de certaines dettes fiscales et sociales (charges patronales et TVA en particulier) ; amélioration de la gestion des stocks (réduction du cycle de production avec une priorité donnée au cash plutôt qu’à la rentabilité) ; optimisation de la gestion du poste fournisseurs, associée à un pilotage prudent de la production en fonction des achats et des financements disponibles ;
- Identification et mise en place de financements auto-liquidatifs ou cession d’actifs « périphériques » qui n’obèrent pas la valeur de la société ;
- Possibilité de mettre un actif en fiducie sûreté pour sécuriser un prêt immédiat ;
- Refinancement de certains actifs (lease back, etc.).
DANS LES RÉSEAUX, IL FAUDRA IMPÉRATIVEMENT PORTER UNE ATTENTION PARTICULIÈRE À PLUSIEURS SUJETS STRUCTURANTS :
- Conserver la confiance des préteurs, sauf à couper le réseau des moyens de financement de ses opérations et de son développement (cf. supra) et à provoquer un changement de contrôle (cf. supra) ;
- Sort des baux commerciaux et la relation avec les bailleurs ;
- Relations fournisseurs : il s’agit ici de trouver un équilibre entre la sécurité de l’approvisionnement et une gestion des flux financiers de l’entreprise compatible avec l’urgence cash ;
- Evaluer la pérennité des franchisés et membres du groupement afin d’éviter une dégradation de la note de crédit des têtes de réseau et de valider les ressources du plan de sortie de crise. La santé des membres du réseau peut amener à envisager une approche globale de la gestion de la crise tout en prenant garde à ne pas s’immiscer dans leur gestion ;
- Traitement et financement de l’impact probable de la crise sanitaire sur l’emploi : envisagé trop tardivement, ce sujet peut interdire tout plan de sortie de crise faute des financements nécessaires.
[CALENDRIER N°2 : DÉFINIR LE PLAN DE SORTIE DE CRISE]
Repousser le mur de trésorerie donne du temps au processus d’analyse, de négociation et de mise en œuvre des actions de redressement. Ce processus d’analyse laisse peu de place à l’erreur. Pour être efficace, il doit emporter l’adhésion des forces vives de l’entreprise, de ses partenaires opérationnels (clients, fournisseurs) et financiers ainsi que de ses actionnaires actuels ou futurs. Cette adhésion est un exercice difficile. Ces partenaires doivent se déterminer dans un contexte tout à fait inhabituel, dans lequel leur grille de lecture de l’entreprise est brouillée.
D’expérience, ce travail d’analyse et de conviction est nécessaire même si la crise n’est qu’une difficulté de trésorerie ponctuelle se résumant au traitement de ses conséquences pécuniaires. Les parties prenantes voudront vérifier ce caractère ponctuel et l’absence de dégradation de la solvabilité de l’entreprise. Mais, le plus souvent, la crise met en évidence des dysfonctionnements critiques auxquels il faut remédier. La sortie de crise nécessite alors une transformation de l’entreprise et de ses fondamentaux opérationnels et financiers, obtenue par la mise en œuvre d’un plan de sortie de crise constitué de plusieurs actions combinées et/ou successives.
Cette phase est cruciale. Sa lucidité et son exhaustivité sont les conditions de pertinence et de succès du plan. On veillera en particulier :
- À cartographier très en amont les ressources de financement possibles (new money, cession d’actifs…) tout en préservant la relation avec les partenaires en place (Actionnaires / Banques / factor / Fournisseurs / assureurs crédit / Clients) ;
- À prendre en compte avec prudence les éventuels facteurs aggravants provenant de l’environnement : crise sectorielle ou macro-économique, insolvabilité ou conflit entre actionnaire, succession actionnariale ou managériale complexe, etc. ;
- À mettre en évidence dès que possible les leviers externes du projet de redéploiement : ressources humaines stratégiques, cession ou arrêt d’activité, appels d’offres en vue de l’externalisation de certains process opérationnels, négociations avec les partenaires financiers, processus de cession d’actifs, de levée de fonds ou d’adossement industriel ;
- À identifier différents scénarios raisonnés, permettant une analyse de sensibilité du plan de sortie de crise, basée en particulier sur les ressources financières disponibles, le calendrier envisageable et l’évolution immédiate des fondamentaux économiques de l’entreprise (stabilisation / détérioration).
- À ne pas s’attacher qu’aux symptômes, pour chercher les causes profondes de chaque situation. Par exemple une sous-performance structurelle peut être traitée par une action sur les charges de structure, mais aussi par la refonte du système d’information permettant une vraie analyse des prix de revient par produit, par une reconfiguration du business model, par un repositionnement stratégique, ou encore par une évolution de la politique commerciale ;
- À ne pas négliger les points de faiblesses secondaires mis en évidence par la survenance de la crise qui n’engagent pas le pronostic vital à court terme mais qui impactent négativement la valeur ou le potentiel de redéploiement ;
- À envisager les éventuelles opportunités de la crise : paradoxalement, bien gérée une crise peut être un moyen d’accroître sa position de marché par acquisition de concurrents en situation de faiblesse, d’améliorer l’efficience de sa structure de financement, de reconfigurer son périmètre d’activité.
In fine, pour emporter la conviction, le plan doit offrir une grille de lecture objective, précise, documentée, cohérente et étayée par des analyses externes. Le plan pourra ainsi être confronté à la capacité & volonté d’action des parties prenantes et déboucher sur des choix concrets aux conséquences anticipées.
[CALENDRIER N°3 : L’HORIZON DE MISE EN ŒUVRE DU REDRESSEMENT]
(retour à un cash-flow positif) et/ou d’aboutissement d’un processus de levée de fonds ou d’adossement industriel, doit être pris en compte avec une extrême prudence car les erreurs d’appréciation se payent au prix fort.
La confrontation du temps nécessaire avec le temps disponible peut conduire à éliminer certaines alternatives et évite de courir les chimères pour concentrer ses forces sur le possible.
EN CONCLUSION
Traverser la crise s’anticipe, se construit et s’organise. Il n’y a pas de fatalité de la crise car, bien gérée, chaque crise est une opportunité. La crise, accélérateur de tendances, n’est en définitive que le passage entre deux mondes. Ceux qui savent comment avancer seront les leaders de demain.