CA Paris, Pôle 5 - chambre 8, 16 février 2021, n°19/20152
En cas d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’égard d’une société à responsabilité limitée, le liquidateur judiciaire n’est pas fondé à solliciter le versement de la fraction du capital social non libéré auprès d’un associé cessionnaire, lorsque ce dernier ne s’est pas expressément engagé à supporter solidairement cette créance.
En l’espèce, la société D, société à responsabilité limitée, est constituée le 26 janvier 2016, son capital social étant fixé à la somme de 188.000 €, souscrit intégralement et partiellement libéré.
A cet égard, il convient de rappeler que si le capital social d’une société à responsabilité limitée doit être intégralement souscrit à sa constitution, en revanche, rien ne s’oppose, lorsque les apports sont effectués en numéraire, à ce que les associés ne libèrent qu’une fraction du capital social, et ce a minima à hauteur de 1/5ème du montant du capital social, le solde devant être libéré dans les 5 ans suivant l’immatriculation de la société, conformément aux dispositions de l’article L.223-7 du Code de commerce.
En l’espèce, tout porte à croire que les associés fondateurs de la société D ont usé de cette faculté, étant précisé qu’au regard des dispositions précitées, une libération du solde du capital social devait intervenir avant le 26 janvier 2021.
Au cours de l’exercice 2016, l’un des associés fondateurs de la société D décide de céder l’intégralité de ses parts sociales à M. J, et ce sans que le solde du capital social restant dû à la société D ne soit libéré.
Par jugement rendu le 1er octobre 2018, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’égard de la société D, laquelle a été, par la suite, convertie en procédure de liquidation judiciaire, par jugement rendu le 10 décembre 2018.
C’est dans ce contexte que le liquidateur judiciaire met en demeure les associés de la société D de lui verser la fraction du capital social non libéré, sur le fondement des dispositions de l’article L.643-1 du Code de commerce qui dispose que le jugement ouvrant ou prononçant une procédure de liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues, en ce compris la fraction non libérée du capital social.
En l’occurrence, les associés de la société D ne donnent pas suite à la demande du liquidateur judiciaire, lequel décide alors de les assigner, aux fins de les voir condamner au paiement de la fraction non libérée du capital social.
Par jugement rendu le 4 juin 2019, la juridiction de première instance fait droit à la demande du liquidateur judiciaire et condamne les associés de la société D à verser la fraction du capital social non libérée.
Les associés de la société D interjettent appel à l’encontre de cette décision, M.J. estimant notamment qu’en sa qualité d’associé non fondateur, l’obligation du versement de la fraction non libérée du capital social de la société D ne lui est pas opposable.
Telle n’est pas la position du liquidateur judiciaire de la société D lequel estime, au contraire, qu’en sa qualité de cessionnaire des parts sociales d’un des associés fondateurs de la société D, M. J s’est vu transmettre l’intégralité des droits et obligations attachés aux parts sociales, en ce compris l’obligation de versement de la fraction non libérée du capital social.
Par arrêt rendu le 16 février 2021, la Cour d’appel de Paris confirme l’analyse de M. J, rappelant notamment que si l’associé d’une société est débiteur envers celle-ci de tout ce qu’il a promis de lui apporter en nature, en numéraire ou en industrie, conformément aux termes de l’article 1843-3 du Code civil, en revanche, l’obligation de libération du capital social ne se transmet pas de plein droit au cessionnaire de parts sociales, dans le cadre d’une société à responsabilité limitée, sauf stipulation contractuelle expresse.
En effet, les juges du fond rappellent que l’obligation solidaire, qui lie les actionnaires fondateurs et les cessionnaires successifs, de verser la fraction du capital social non libérée, n’est transmise de plein droit au cessionnaire que dans le cadre des sociétés par actions, et ce conformément aux dispositions de l’article L.228-28 du Code de commerce.
Par conséquent, en application des dispositions du droit des sociétés, le liquidateur judiciaire de la société D ne pouvait se retourner contre M. J, cessionnaire de parts sociales d’une société à responsabilité limitée, faute de stipulation contractuelle prévoyant une obligation solidaire.
Cette décision, qui interprète strictement les textes applicables en droit des sociétés, confirme la jurisprudence rendue en la matière (CA Aix en Provence, 15 octobre 2008, n°08/18686).
A rapprocher : Articles L.624-20, L.631-18 et L.228-28 du Code de commerce ; Article 1843-3 du Code civil