Cass. soc., 25 novembre 2020, n°18-13.769, Publié au bulletin
Une situation de co-emploi ne peut exister, hors l’existence d’un lien de subordination, que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à une perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.
Assez classiquement, des salariés licenciés dans le cadre d’une liquidation judiciaire citent leur employeur et la société mère devant le conseil de Prud’hommes afin de faire juger leurs licenciements sans cause réelle et sérieuse en raison d’une situation de co-emploi.
La cour d’appel fait droit à la demande en retenant une confusion d’activité et de direction entre les deux sociétés. La cour retient également une immixtion dans la gestion sociale à travers une convention de gestion des ressources humaines et une immixtion économique à travers des conventions de gestion administrative et de trésorerie.
La cour d’appel s’appuyait principalement sur un arrêt « Molex » rendu le 2 juillet 2014 par la Cour de cassation qui avait posé un attendu normatif : « hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre société de ce groupe, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ».
L’arrêt rendu le 25 novembre 2020, décision importante car rendue en formation plénière, revient sur cette définition en modifiant le paradigme de la notion de co-emploi. En effet, la Cour de cassation exige maintenant que soit démontrée une immixtion permanente entrainant la perte totale d’autonomie de la société employeur. Elle reprend plus explicitement la notion déjà évoquée dans son arrêt « 3 Suisses » du 6 juillet 2016, arrêt qui est le seul ayant retenu une situation de co-emploi depuis le mois de juillet 2014.
La Cour de cassation fait donc sienne la notion de co-emploi retenue par le Conseil d’Etat qui retient la notion d’employeur « transparent » ou de « véritable employeur ». A l’instar de certains auteurs, une personne morale transparente pourrait être définie comme « celle qui, sans être à proprement parler fictive, n’est qu’une façade à travers laquelle une autre, en réalité, agit ». C’est ainsi que « celui qui méconnaît ainsi la nécessaire autonomie juridique de la société employeur, fût-elle sa filiale, c’est-à-dire sa capacité à agir par elle-même, ne peut alors se cacher derrière le voile de la personnalité morale qu’il a ignoré pour se soustraire aux conséquences sociales de ses agissements. »
C’est ainsi que pour la Cour de cassation, « l’objectif premier est de rechercher le véritable décideur pour lui imputer les effets de ses décisions, notamment pour obtenir l’extension de l’obligation de la dette, par l’adjonction d’un autre débiteur à la créance de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse. » Il s’agit donc avant tout d’une technique d’imputation d’obligations légales.
A l’occasion de ce dossier, la Cour de cassation a hésité à mettre un terme à la notion de co-emploi au profit du seul régime de la responsabilité civile largement ouvert depuis l’arrêt « Molex » notamment en raison de la difficulté pour les juges du fond de cerner précisément cette notion. Elle a finalement pris la décision de la maintenir mais en restreignant considérablement ses contours de telle sorte que de telle situation devrait être maintenant anecdotique.
A rapprocher : Cass. soc., 2 juillet 2014, n°13-15.573 ; LEDEN, septembre 2014, n°136, p.1, obs. F-X Lucas ; Cass. soc., 6 juillet 2016, n°15-15.481 ; CE, 17 octobre 2017, n°386306 ; P. BAILLY, Semaine Sociale Lamy, 7 octobre 2013, n° 1600, pp. 11 et s. ; D. Piveteau, La dualité des juridictions à l’épreuve du droit du travail, Dr. Soc. 2017, p. 415 ; G. Auzero « Co-emploi : en finir avec les approximations ! », RTD 2016, P. 27