Cass. soc., 27 janvier 2021, n°18-23.535, Publié au bulletin
Non bis in idem : le préjudice lié à la perte injustifiée d’emploi ne peut être réparé qu’une seule fois même en cas de responsabilité concomitante de l’employeur et d’un tiers au contrat de travail dans la survenance du dommage.
D’anciens salariés licenciés pour motif économique dans le cadre d’un redressement judiciaire (cession partielle d’actif) obtiennent la requalification de leur licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse pour insuffisance du plan de sauvegarde au regard des moyens du groupe et manquement de l’employeur à son obligation de reclassement. Des dommages et intérêts sur le fondement de l’article L.1235-3 du Code du travail leur sont alloués.
Parallèlement, les commissaires à l’exécution du plan assignent la banque de la société en responsabilité pour octroi de crédit ruineux. Cette responsabilité est retenue par la cour d’appel.
Deux questions restaient en suspens : celle de la recevabilité de l’intervention volontaire des anciens salariés dans cette instance, et dans l’affirmative, celle de leur indemnisation.
La chambre commerciale, par un arrêt du 2 juin 2015, juge cette action recevable. La chambre sociale, par cet arrêt du 27 janvier 2021, la juge néanmoins infondée.
Pourtant, un tiers au contrat peut indéniablement être tenu de réparer le préjudice causé par la perte injustifiée d’emploi qu’il a provoquée (Cass. soc., 24 mai 2018, n°16-22903 – Lee Cooper).
Mais en l’espèce, les salariés avaient déjà perçu une indemnisation sur le fondement de l’article L.1235-3 du Code du travail, et cette indemnité a vocation à réparer le préjudice résultant de la perte injustifiée d’emploi.
La Cour de cassation juge par ailleurs de manière constante que cette indemnité ne se cumule pas avec les indemnités de même nature (par exemple pour des dommages et intérêts pour violation des critères d’ordre de licenciement : Cass. soc., 14 nov. 2013, n°12-23.089).
Or les salariés sollicitaient en l’espèce des dommages et intérêts en raison de la perte injustifiée de leur emploi et ses conséquences.
En application du principe de réparation intégrale, le même préjudice ne pouvant être indemnisé deux fois, la Cour de cassation ne pouvait qu’approuver la cour d’appel qui, constatant que le préjudice invoqué avait déjà été réparé, a débouté les demandeurs.
La solution dégagée par la Haute juridiction n’est donc pas surprenante.
La solution semble néanmoins en l’espèce laisser à la charge de la procédure collective et donc de l’AGS l’indemnisation d’un préjudice auquel un tiers in bonis a concouru.
Sous réserve cependant de l’indemnisation obtenue par les organes de la procédure à l’encontre du tiers.
Les faits de l’espèce ne permettent pas d’appréhender cette question. La cour d’appel, considérant ne pas avoir les éléments nécessaires à l’évaluation du préjudice de la procédure collective, avait réouvert les débats sur ce point. Entre temps, une transaction a été conclue.
En pratique, l’indemnisation dans le cadre d’une procédure collective est souvent limitée au plafond de garantie de l’AGS. Les salariés soumis à ce plafond sont donc incités à opter pour la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle du tiers in bonis, s’ils souhaitent une réparation intégrale effective.
Si la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 janvier 2021 n’est pas surprenante, elle invite donc à la vigilance dans le cadre des procédures collectives sur la chronologie des procédures judiciaires et les stratégies à adopter pour permettre la réparation intégrale tant des salariés que de l’ensemble des créanciers.
A rapprocher : Cass. soc., 8 juillet 2014, n°13-15.573 et Cass. com., 2 juin 2015, n°13-24.714 (recevabilité de l’action en responsabilité extracontractuelle des salariés) ; Cass. soc., 24 mai 2018, n°16-22.903 (indemnisation extracontractuelle de la perte injustifiée d’emploi)