Cass. com., 21 octobre 2020, n°19-15.685
Le liquidateur judiciaire engage sa responsabilité lorsqu’il fait procéder à la réalisation d’actifs faisant l’objet d’une clause de réserve de propriété dont il connaît l’existence, sauf accord du vendeur, à qui il doit payer le solde du prix restant dû sur le matériel.
En l’espèce, la société S est placée sous procédure de redressement judiciaire par jugement rendu le 23 octobre 2014.
Le 18 novembre 2014, la société A déclare sa créance au passif de la société S, à hauteur de 71.360,36 €, correspondant au solde impayé de plusieurs factures de vente de biens.
Parallèlement, une prisée des actifs de la société A, valant inventaire, est réalisée par le commissaire-priseur désigné dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire précitée.
Par jugement rendu le 11 décembre 2014, la procédure de redressement judiciaire de la société S est convertie en procédure de liquidation judiciaire.
Le même jour, la société A décide de revendiquer les biens objets des factures précitées, entre les mains du liquidateur judiciaire de la société S, ces derniers étant grevés d’une clause de réserve de propriété.
Faute de retour du liquidateur judiciaire de la société S, la société A se trouve contrainte de saisir, par requête datée du 11 février 2015, le juge-commissaire, aux fins de se voir restituer lesdits matériels.
A cet égard, il convient de rappeler qu’en matière de revendication, et conformément aux dispositions des articles L.624-9, L.624-17 et R.624-13 du Code de commerce, le créancier revendiquant est tenu de respecter un certain nombre de délais, à savoir :
- S’agissant de la revendication entre les mains du liquidateur judiciaire, étant précisé qu’en cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire, cette demande est effectuée auprès de l’administrateur judiciaire, ou à défaut auprès du débiteur avec copie au mandataire judiciaire, la demande doit être adressée dans un délai de 3 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC, par lettre recommandée avec accusé de réception ;
- A la réception de cette demande, transmise impérativement par voie de recommandé avec accusé de réception, le destinataire de la demande en revendication dispose d’un délai d’un mois pour se prononcer ;
- A défaut de réponse du destinataire de la demande en revendication dans ce délai d’un mois, un nouveau délai d’un mois s’ouvre, au cours duquel le créancier revendiquant est fondé à saisir le juge-commissaire par voie de requête. A défaut de saisine dans ce dernier délai, le créancier revendiquant est forclos.
En l’occurrence, ces délais avaient été respectés par la société A, rendant ainsi sa requête, en la forme, recevable.
Il convient de noter que parallèlement à cette saisine, la société A prend l’initiative de solliciter, de nouveau, le liquidateur judiciaire, par courrier recommandé avec accusé de réception réceptionné le 9 mars 2015, et ce afin qu’il indique sa position concernant la demande en revendication précitée. En vain.
Par ordonnance du 4 mars 2015, le juge-commissaire autorise la vente aux enchères publiques des biens de la société S.
Le liquidateur judiciaire prend alors l’initiative de faire procéder à la vente aux enchères desdits biens les 15 et 16 avril 2015, ce qui lui permet de recouvrer une somme de 827.050 €.
Par ordonnance du 18 juin 2015, le juge-commissaire statue favorablement sur la requête en revendication de la société A, et l’autorise à se voir restituer les biens revendiqués, sous réserve de leur existence en nature au jour du jugement d’ouverture.
A cet égard, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions de l’article L.624-16 du Code de commerce, seuls les biens qui se retrouvent en nature au jour du jugement d’ouverture, peuvent être revendiqués en nature.
La preuve de la présence en nature du bien revendiqué au jour du jugement d’ouverture pèse sur le créancier revendiquant. Toutefois, la charge de cette preuve est renversée, et pèse sur le liquidateur judiciaire, lorsque l’inventaire est incomplet, sommaire ou inexploitable (Cass. com., 25 octobre 2017, n°16-22.083).
En l’occurrence, la société A, jusqu’alors non informée de la vente aux enchères publiques précitée, décide de solliciter le liquidateur judiciaire afin que ce dernier lui restitue les biens revendiqués, ou à défaut, lui restitue leur prix.
Faute de retour du liquidateur judiciaire et estimant avoir subi un préjudice du fait de la vente des biens revendiqués à son insu, la société A décide de l’assigner aux fins de voir réparer son préjudice qu’elle évalue à la somme de 71.360,36 €.
Par un jugement rendu le 27 septembre 2017, la juridiction saisie fait droit à cette demande, estimant la responsabilité du liquidateur judiciaire engagée en raison de la vente des biens revendiqués alors même qu’il était informé de la revendication de la société A.
Toutefois, la juridiction de 1ère instance limite le montant du préjudice à la somme de 3.750 €, ce qui conduit la société A à interjeter appel.
Par arrêt rendu le 28 février 2019, les juges du fond font droit à la demande de la société A et condamnent le liquidateur judiciaire à verser la somme de 71.360,36 €, au titre du préjudice subi par la société A.
Le liquidateur judiciaire décide de former un pourvoi en cassation estimant notamment que sa faute n’est pas caractérisée, n’étant tenu de respecter les droits des tiers que dans la mesure où ils sont opposables au débiteur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la revendication de la société A n’ayant pas encore aboutie.
En outre, le liquidateur judiciaire estime également que la société A ne démontrait pas en l’espèce que les biens revendiqués étaient présents au jour du jugement d’ouverture, et ce alors même que la charge de cette preuve lui incombait, selon lui, en sa qualité de créancier revendiquant.
Par arrêt rendu le 21 octobre 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le liquidateur judiciaire et rappelle clairement qu’il appartient aux organes de la procédure de s’abstenir de procéder à la réalisation d’actifs faisant l’objet d’une clause de réserve de propriété dont ils connaissent l’existence, sauf accord du vendeur à qui ils doivent payer le solde du prix restant dû sur le matériel.
En l’occurrence, il ressortait clairement des éléments factuels que le liquidateur judiciaire de la société S était parfaitement informé de l’existence de cette clause de réserve de propriété, ainsi que de l’action en revendication initiée par la société A, et qu’il avait néanmoins fait procéder à la vente de ces actifs.
En outre, la chambre commerciale de la Cour de cassation relève que l’inventaire étant inexploitable en l’état, la charge de la preuve de l’existence en nature des biens revendiqués, au jour du jugement d’ouverture, pesait donc sur le liquidateur judiciaire de la société S, preuve qu’il ne pouvait rapporter, en l’espèce.
Dans ce contexte, la faute du liquidateur judiciaire était caractérisée et le préjudice subi par la société A démontré.
Il en résulte qu’en présence de biens grevés d’une clause de réserve de propriété, faisant l’objet d’une demande de revendication, le liquidateur judiciaire doit ainsi s’abstenir de céder lesdits biens, faute de quoi, ce dernier risque d’engager sa responsabilité, à l’égard du créancier revendiquant.
A rapprocher : Articles L.624-9, L.624-17 et R.624-13 du Code de commerce ; Cass. com., 25 octobre 2017, n°16-22.083