Cass. com., 21 octobre 2020, n°19-15.015
La Cour de cassation considère qu’une cour d’appel peut ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre d’une société, même après avoir annulé le jugement de première instance ayant initialement ouvert cette procédure, à condition d’être en mesure de démontrer (i) un état de cessation des paiements et (ii) l’impossibilité manifeste de redresser l’activité de ladite société.
Sur assignation d’un créancier, la société X a été placée en liquidation judiciaire par décision, assortie de l’exécution provisoire, du tribunal de commerce de Bobigny du 4 octobre 2018.
La société X a interjeté appel de cette décision et a parallèlement saisi le Premier président de la Cour d’appel de Paris d’une demande en arrêt de l’exécution provisoire, laquelle a été arrêtée sur décision du 22 novembre 2018.
Par un arrêt du 12 mars 2019, la Cour d’appel prononce l’annulation du jugement du tribunal de commerce de Bobigny pour une raison procédurale, mais estime néanmoins être saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel, considérant que l’annulation du jugement n’a pas entrainé l’annulation des autres actes de procédure, dont l’assignation initiale du créancier en ouverture de la procédure collective. Aussi, la Cour d’appel statue au fond, déclare impossible le redressement de l’entreprise et décide en conséquence de la placer en liquidation judiciaire, fixant la date de cessation des paiements à cette date.
Pour ce faire, elle fait la démonstration, en application de l’article L.640-1 alinéa 1er du Code de commerce que la société X (i) se trouve en état de cessation des paiements et que (ii) son redressement est manifestement impossible.
Pour démontrer l’état de cessation des paiements, la Cour d’appel s’appuie sur une liste des créances établie par le liquidateur judicaire en décembre 2018, lors de la procédure de liquidation judiciaire annulée. Côté passif, la Cour relève que le débiteur n’est pas en mesure de justifier les réserves de crédit ou les moratoires dont il prétend bénéficier par des écrits qui émaneraient des créanciers et elle rappelle que n’est pas exclue du passif exigible une créance dont le titulaire s’est simplement abstenu de demander le paiement. Elle écarte par ailleurs une attestation de l’expert-comptable du débiteur qui se borne à déclarer simplement l’absence de cessation des paiements sans la démontrer.
Côté actif, la Cour exclut le compte-courant du gérant associé unique qui est une dette de la société envers un tiers, ainsi que sa promesse de céder ses parts sociales dans la mesure où cette promesse, même si elle se réalise, est sans incidence sur la consistance de l’actif de la société.
Pour affirmer une impossibilité manifeste de redressement du débiteur, la Cour prend appui sur l’état des créances de décembre 2018 qui fait état d’un passif échu de l’ordre de 900.000 euros, là où la société réalise un chiffre d’affaires annuel de 1,3 millions d’euros, se traduisant par une perte de 25.000 euros au cours du dernier exercice. Elle en déduit qu’au regard de l’importance du passif et de l’absence d’éléments établissant la possibilité d’une très forte progression de l’activité et de la rentabilité, le redressement est manifestement impossible, justifiant ainsi l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.
La Cour d’appel est approuvée dans sa démarche par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi rappelant que la preuve de l’état de cessation des paiements d’une société peut être apportée par tous moyens, y compris à partir d’un état des créances établi antérieurement à l’ouverture de la procédure, à condition d’être actualisé et d’être corroboré par d’autres éléments.
A rapprocher : Article L.640-1 alinéa 1er du Code de commerce ; CA Paris, Pôle 5, Chambre 8, 12 mars 2019, n°18/22172