Les mesures favorables aux plans de sauvegarde et de redressement issues des ordonnances Covid-19

Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020

Par Geoffroy BERTHELOT Mandataire judiciaire associé, professeur affilié à Sciences Po Paris & Benjamin FERRARI ATER à l’université Cóte d’Azur, membre du CERDP (EA 1201), docteur en droit qualifié aux fonctions de maitre de conférences.

L’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises à l’urgence sanitaire, prévoyait déjà des mesures tendant à faciliter l’adoption des plans de sauvegarde et de redressement. L’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 consolide cette volonté par l’octroi de nouveaux outils aux praticiens de l’insolvabilité. Ces mesures favorisent tant l’élaboration des plans que leur exécution.

Ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale, art. 1 et 2 : JO, 28 mars 2020.

Ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, art. 4 et 5: JO, 21 mai 2020.

 

Deux mois à peine après l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 adaptant les règles relatives aux difficultés des entreprises à l’urgence sanitaire, était adopté un nouveau texte la complétant : lordonnance n° 2020 596 du 20 mai 2020. Clarifier et renforcer. Tels sont les maîtres mots du dispositif. Clarifier d’abord, car lordonnance du 20 mai répond notamment, pour partie, aux incertitudes liées à lapplication des délais de lordonnance du 27 mars. Renforcer ensuite, car lordonnance du 20 mai va bien plus loin que ne l’avait fait la précédente. S’il s’agit de répondre à la situation de crise sanitaire et économique traversée par le pays, l’idée est également d’anticiper les modifications à venir dans le cadre de la transposition de la directive Restructuration et insolvabilité du 20 juin 2019. Ceci permet d’expliquer la distinction opérée par l’article 10 de la dernière ordonnance entre les dispositions dérogatoires applicables jusqu’au 31 décembre 2020 et celles en vigueur jusqu’au 17 juillet 2021, date correspondant à l’échéance de la transposition de la directive. Les mesures favorables aux plans de sauvegarde et de redressement, spécialement contenues aux articles 4 et 5 de l’ordonnance du 20 mai 2020, seront spécialement analysées. Notons d’emblée que ces dispositions sont applicables aux procédures en cours depuis le 22 mai 2020, et ce jusqu’au 31 décembre 2020. En revanche, l’article 8 de l’ordonnance opère une modification permanente du droit des entreprises en difficulté : soucieux de favoriser le « rebond » du débiteur, le texte réduit le délai au terme duquel la mention d’une procédure de sauvegarde ou de redressement est radiée du registre du commerce et des sociétés en cas de bonne exécution du plan. Nous traiterons successivement des mesures favorisant l’élaboration des plans (I), puis de celles permettant leur bonne exécution (II).

 

I. MESURES FAVORISANT L’ÉLABORATION DES PLANS

Plusieurs dispositions de l’ordonnance du 20 mai 2020 favorisent l‘élaboration des plans en modifiant les modalités de consultation des créanciers (A) et le périmètre du passif permettant la construction du plan (B).

A. Les modalités de consultation des créanciers

Les deux premiers alinéas de larticle 4 de lordonnance du 20 mai concernent les modalités de consultation des créanciers lors de lélaboration des plans. Le premier alia prévoit que, sur requête de ladministrateur ou du mandataire judiciaire, le délai de 30 jours imparti aux créanciers pour pondre aux propositions de remises ou de délais pourra être porté à 15 jours moyennant lautorisation du jugecommissaire.

Le contexte de crise oblige à ladoption de solutions rapides et, de ce point de vue, la modification opérée par lordonnance est salvatrice. En revanche, elle pourrait se heurter à pas moins de trois difficultés ou, à tout le moins, observations.

En premier lieu se pose la question de larticulation de cette disposition avec le jeu de lordonnance n° 2020306 du 25 mars 2020, laquelle s‘applique, sauf disposition spéciale contraire, à lensemble des délais qui ont expire entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020. En théorie, lorsque le délai de 30 jours imparti aux créanciers pour pondre aux propositions du mandataire a expiré durant la période juridiquement protégée, lapplication de lordonnance « délai » permet au créancier de répondre à la proposition jusquau 23 juillet 2020. Or lapplication de ce mécanisme au délai raccourci de 15 jours échu durant la période protégée nous semble contraire à la ratio legis de l’ordonnance du 20 mai 2020. Cela étant, les modalités dapplication dans le temps des règles posées par lordonnance du 20 mai forcent à ladoption dune analyse plus subtile. Puisque la possibilité dadoption du délai raccourci de 15 jours est applicable aux procédures en cours, il nous semble qu’au contraire les dispositions de lordonnance « délai » s’appliquent aux délais de consultation des créanciers échus entre le 12 mars et le 21 mai 2020. En outre, après le 22 mai et jusquau 23 juin 2020, lordonnance 2020306 pourrait continuer à sappliquer dans lunique hypothèse le délai « raccourci » de 15 jours n’aurait pas été sollicité par les organes de la procédure. Concédons que cette dernière solution est très peu opportune, mais conforme à la lettre des ordonnances précitées conduisant à une temporalité à double détente. En effet, certains créanciers verront, sur ordonnance du jugecommissaire, le temps de consultation ramené de 30 à 15 jours, et dautres seront, au contraire, soumis à un allongement du temps de consultation jusquau 23 juillet.

En second lieu, la duction du délai de 30 à 15 jours im parti aux créanciers pour répondre à une proposition de remises ou de délais aura certainement une incidence sur le contenu formel de la proposition. Selon nous, la mention du délai raccourci devrait dès lors obligatoirement apparaître en sus de la mention des conséquences du silence gardé par le créancier. À défaut, le délai de 15 jours ne pourrait commencer à courir, Le deuxième alinéa de l‘article 4 de lordonnance du 20 mai 2020 prévoit que la consultation des créanciers peut se faire par tout moyen pourvu que le mandataire judiciaire puisse établir de façon certaine la date de réception des échanges. Cette disposition nappelle pas plus de commentaires, si ce nest quelle favorise nécessairement lutilisation de procédés de transmission électronique. Relevons à cet égard quil y aurait peutêtre là loccasion délargir un peu plus lemploi du portail Creditors services ou de tout autre mécanisme institutionnel ayant l‘avantage d’horodater les échanges entre les créanciers du débiteur et les organes de la procédure.

Enfin, en troisième lieu, le délai de consultation des créanciers sur les propositions de remboursement des dettes aurait pu être aménagé afin de ne pas nuire aux intérêts des créanciers à qui le plan a vocation à s’appliquer. Ainsi, pouvait-on légitimement envisager un aménage ment temporel de cette disposition dans l‘hypothèse la proposition de règlement des dettes ne porte que sur une option unique, puisquen pareil cas, le défaut de ponse entraîne souvent lapplication de ladite option à lensemble des créanciers. Cependant, lorsque nous sommes confrontés à plusieurs options, le temps laissé à la disposition des créanciers pour se prononcer ne nous semble pas pouvoir être duit. Conséquemment, cette observation constituera vraisemblablement une ligne de démarcation concrète pour les administrateurs judiciaires ou mandataires judiciaires quant à lopportunité de saisir le jugecommissaire à cette fin. Simpose donc une analyse casuistique subtile, tout comme le sera celle du périmètre du passif permettant la construction du plan.


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