Cass. com., 11 mars 2020 n°18-23.586
S’il omet de désigner la partie devant saisir la juridiction compétente, sa décision est entachée d’une erreur de droit de sorte que l’appel est la seule voie de recours contre cette ordonnance.
Le juge-commissaire reste compétent, une fois cette contestation tranchée ou la forclusion acquise, pour admettre ou rejeter la créance déclarée.
En l’espèce, un créancier avait déclaré – au passif du redressement judiciaire de son cocontractant – une créance de dommages et intérêts au titre de malfaçons dans l’exécution d’un chantier. Ces malfaçons n’étant pas encore établies puisque l’expertise était en cours, le juge-commissaire avait constaté l’existence d’une contestation sérieuse et renvoyé les parties à mieux se pourvoir en saisissant le juge compétent dans le délai d’un mois à compter de la notification de son ordonnance.
L’ordonnance du juge-commissaire était néanmoins taisante sur l’identité de la partie à laquelle il incombait de saisir – dans le délai, à peine de forclusion – la juridiction compétente pour trancher la contestation sérieuse. Aussi, par une seconde ordonnance, le juge-commissaire a réparé cette omission en invitant le créancier à saisir, dans le délai d’un mois, la juridiction compétente pour connaître du bien-fondé de sa créance.
Saisie de l’appel interjeté par le débiteur contre la seconde ordonnance du juge-commissaire modifiant la première, la Cour d’appel l’a infirmée au motif qu’en omettant de désigner la partie tenue de saisir la juridiction compétente, l’ordonnance n’était pas entachée d’une omission de statuer au sens de l’article 462 du code de procédure civile mais d’une erreur de droit de sorte que, seule la voie de l’appel était ouverte. Par suite, la Cour d’appel a constaté la forclusion du créancier et jugé qu’il était dans l’impossibilité de solliciter la fixation de sa créance au passif.
Sur pourvoi formé par le créancier, la Haute juridiction rend un arrêt riche d’enseignements.
Elle confirme dans un premier temps que, au visa de l’article R. 624-5 du Code de commerce imposant au juge-commissaire de désigner – dans son ordonnance – la partie qui doit saisir la juridiction compétente pour trancher la contestation sérieuse affectant sa créance, l’absence d’une telle mention ne constitue pas une omission de statuer que le juge-commissaire peut lui-même rectifié mais une erreur de droit qui ne peut être corrigée que par la voie de l’appel ; faute d’appel interjeté à l’encontre de la première ordonnance, celle-ci était devenue irrévocable.
Par conséquent, le délai de forclusion avait bien commencé à courir à compter de la notification de la première ordonnance. Le créancier n’ayant pas saisi la juridiction compétente dans le mois de la notification de cette ordonnance alors qu’il y avait intérêt, la forclusion s’en trouvait acquise et lui était opposable sans que cela ne porte une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge ou au droit du créancier au respect de ses biens.
La Cour de cassation censure toutefois l’arrêt qui, par suite de la forclusion acquise, juge l’impossibilité qui en résulte pour le créancier de solliciter la fixation de la créance au passif, au motif que le juge-commissaire est « entièrement dessaisi du pouvoir de fixer la créance, un tel pouvoir revenant exclusivement à la juridiction du fond ».
En retenant que le juge-commissaire ne pouvait sursoir à statuer en pareille hypothèse, la Cour d’appel a violé les articles L. 624-2 R. 624-5 du Code de commerce dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014. La Cour de cassation pose ainsi en principe, le maintien de la compétence du juge-commissaire pour statuer sur la créance déclarée, une fois la contestation sérieuse tranchée ou la forclusion acquise faute de saisine de la juridiction compétente par la partie tenue de la saisir.
Nonobstant la forclusion, le Juge-commissaire demeure compétent pour décider de l’admission ou du rejet de la créance. Dans les faits d’espèce, les conclusions de l’expertise en cours quant à la créance de malfaçons déclarée au passif seraient notamment susceptibles d’orienter la décision du juge-commissaire.
Dans un arrêt rendu le 19 décembre 2018, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger que le juge-commissaire avait une compétence exclusive pour décider de l’admission ou du rejet des créances déclarées dans la mesure où, après une décision d’incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs de la juridiction compétente régulièrement saisie se limitaient à l’examen de cette contestation (Cass. Com., 19 décembre 2018 n°17-15.883).
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