CA Reims, 10 décembre 2019, n°19/01426
La procédure préventive de règlement amiable agricole, créée par la loi du 30 décembre 1988 et exclusivement applicable aux exploitants agricoles ainsi qu’aux sociétés civiles exploitant une activité agricole, comporte de nombreuses spécificités.
Ainsi, les juges de la cour d’appel de Reims rappellent qu’avant toute assignation en ouverture d’une procédure collective dirigée à l’encontre d’un exploitant agricole, le créancier doit nécessairement solliciter l’ouverture d’une procédure de règlement amiable. Si ces spécificités peuvent se justifier notamment par la nature de l’activité agricole, le régime du règlement amiable tend néanmoins à se rapprocher de celui de la procédure de conciliation.
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En l’espèce, M. D, gérant d’une entreprise agricole, est débiteur à l’égard de la MSA d’une somme de 48.160,02 € correspondant à des cotisations sociales agricoles impayées.
Dans ce contexte, la MSA décide de saisir le président du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne d’une demande d’ouverture d’une procédure de règlement amiable aux fins de désignation d’un conciliateur.
Par ordonnance rendue le 20 octobre 2015, le président de la juridiction précitée fait droit à cette demande et désigne Monsieur G en qualité de conciliateur.
Après plusieurs mois de procédure, le président du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne constate l’accord conclu entre la MSA et M. D par ordonnance rendue le 15 mars 2016.
Toutefois, par la suite, M. D est assigné devant le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne, aux fins d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, par la MSA et ce en raison du défaut de respect de l’accord de règlement précité ainsi qu’en raison d’une créance de cotisations impayée d’un montant de 64.900,72 €.
Dans le cadre de ce contentieux, M. D excipe d’une nullité de ladite assignation en raison de l’absence d’ouverture préalable d’une procédure de règlement amiable concernant la créance impayée précitée, conformément aux dispositions de l’article L.351-1 du Code rural.
En effet, l’article L.351-1 du Code rural dispose que :
« Il est institué une procédure de règlement amiable destinée à prévenir et à régler les difficultés financières des exploitations agricoles dès qu’elles sont prévisibles ou dès leur apparition, notamment par la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers.
Cette procédure, exclusive de celle prévue par la loi n°84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, est applicable à toute personne physique ou morale de droit privé exerçant une activité agricole au sens de l’article L. 311-1.
Toutefois, les sociétés commerciales exerçant une activité agricole demeurent soumises à la loi n°84-148 du 1er mars 1984 précitée ».
Par jugement rendu le 18 juin 2019, ladite juridiction rejette la nullité soulevée par M. D estimant que la MSA était à l’origine de la phase amiable précitée et décide d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de M. D. ; la juridiction constate également la caractérisation de l’état de cessation des paiements de M. D.
M. D interjette appel et décide de saisir le premier président de la cour d’appel de Reims aux fins de l’autoriser à assigner la MSA et le procureur général à jour fixe le 14 octobre 2019.
Le premier président fait droit à cette demande.
Au soutien de son recours, M. D fait notamment valoir qu’aucune procédure amiable n’a précédé l’assignation signifiée par la MSA à son encontre.
Il fait également valoir qu’une procédure de redressement judiciaire ne pouvait être ouverte à son encontre celui-ci exerçant son activité sous la forme d’une EARL dont il est le gérant.
Par arrêt rendu le 10 décembre 2019, les juges du fond confirment le jugement rendu en 1ère instance concernant l’assignation en ouverture d’une procédure de redressement judiciaire considérant qu’en l’occurrence, une procédure de règlement amiable avait bien été mise en œuvre, et ce à l’initiative de la MSA, permettant à cette dernière d’assigner M. D en ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
Toutefois, la cour d’appel de Reims estime qu’une procédure de redressement judiciaire ne pouvait être ouverte à l’encontre de M. D dans la mesure où aucun élément ne permettait d’établir les conditions d’un exercice individuel d’une activité agricole distincte de l’exploitation d’une société agricole.
Cette décision est l’occasion de revenir sur la procédure de règlement amiable agricole exclusivement applicable aux exploitants agricoles ainsi qu’aux sociétés civiles exploitant une activité agricole, laquelle comporte de nombreuses spécificités.
En effet, dès sa création par la loi du 30 décembre 1988, la procédure de règlement amiable agricole, inspirée de l’ancienne procédure de règlement amiable instituée par la loi du 1er mars 1984, s’est voulue bienveillante à l’égard des agriculteurs.
Ainsi que l’ont fait remarquer certains auteurs, le législateur a souhaité proposer aux entreprises agricoles en difficulté : « un cadre juridique sur le modèle de celui proposé aux entreprises commerciales, tout en tentant d’atténuer l’impact des procédures régissant ces dernières ».
L’objectif était ainsi de faire basculer « en douceur » les agriculteurs dans le monde des procédures collectives.
C’est la raison pour laquelle, dès sa création en 1988, le législateur a souhaité faire de la procédure de règlement amiable agricole une procédure spéciale comportant quelques spécificités telles que le caractère préalable de cette procédure pour tout créancier souhaitant assigner un exploitant agricole en ouverture d’une procédure collective ou encore la possibilité de suspendre provisoirement les poursuites durant une période de deux mois, renouvelable une fois.
Toutefois, depuis plusieurs années, le régime de la procédure de règlement amiable tend à se calquer sur le régime de la procédure de conciliation.
Ainsi, à titre d’illustration, le privilège de New Money est expressément prévu par les dispositions de l’article L.351-6 du Code rural à tout apporteur d’argent frais.
Par conséquent, il est probable que le régime de la procédure de règlement amiable agricole soit, dans les années à venir, pleinement unifié avec celui de la procédure de conciliation.
A rapprocher : Articles L.351-1 et 351-6 du Code rural ; « Entreprise en difficulté : conditions d’ouverture – Conditions de fond de l’ouverture de la procédure de redressement ou liquidation judiciaire », Marie-Jeanne CAMPANA, Martine DIZEL, Laurent-Philippe BARRATIN, Reine FERNANDEZ – Septembre 1996, Jurisclasseur commercial ; « Procédures collectives agricoles » Fascicule 1715, Christine LEBEL, Maître de conférences HDR UFR SJEPG, CRJFC, EA 3225 ; « Agriculteur en difficulté – La prévention dans les codes : règlement amiable et mandat ad hoc », Nancy VIGNAL, Revue des procédures collectives n°5, Septembre 2018, dossier 31