Cass. com., 25 septembre 2019, n°18-16.178
Le transfert des sommes d’un compte courant professionnel nanti vers un compte spécialement ouvert par la Banque, et ce à la suite de la mise en œuvre d’une saisie conservatoire, constitue une simple opération comptable destinée à isoler ces sommes dans l’attente du sort qui leur est réservé.
Ce qu’il faut retenir :
Le transfert des sommes d’un compte courant professionnel nanti vers un compte spécialement ouvert par la Banque, et ce à la suite de la mise en œuvre d’une saisie conservatoire, constitue une simple opération comptable destinée à isoler ces sommes dans l’attente du sort qui leur est réservé.
Ainsi, en l’absence de conversion de cette saisie conservatoire avant l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, les sommes transférées sont réputées figurer sur le compte courant professionnel nanti au jour du jugement ayant mis la société en liquidation judiciaire, profitant ainsi au bénéficiaire du nantissement.
Pour approfondir :
En l’espèce, une banque conclut avec la société S deux contrats de prêts par actes des 6 novembre et 7 décembre 2013. Ces deux emprunts sont garantis par un nantissement sur le compte courant professionnel de la société S ouvert dans les livres de la Banque.
Par la suite, le bailleur de la société S pratique, sur ce même compte professionnel nanti, deux saisies conservatoires les 5 et 20 novembre 2014.
En conséquence, la Banque débite les sommes saisies et les porte au crédit d’un compte spécial ouvert à cet effet.
Toutefois, la société S est placée sous procédure de liquidation judiciaire par jugement rendu le 16 février 2015 par le tribunal de commerce de Marseille.
La Banque procède alors à la déclaration de sa créance à titre privilégié au passif de la liquidation judiciaire de la société S. Elle sollicite également, et obtient du juge-commissaire, l’autorisation d’appréhender le solde créditeur du compte courant professionnel à la date du jugement d’ouverture.
Postérieurement, les saisies conservatoires pratiquées préalablement à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire font l’objet d’une mainlevée. La Banque porte alors au crédit du compte courant professionnel les sommes ayant fait l’objet de ces deux saisies conservatoires et en demande l’attribution judiciaire. Toutefois, le liquidateur judiciaire de la société S s’y oppose.
Par ordonnance rendue le 8 octobre 2015, le juge-commissaire rejette la demande formée par la Banque.
La Banque décide alors de former un recours à l’encontre de cette ordonnance devant le tribunal de commerce de Marseille, lequel confirme l’ordonnance rendue par le juge-commissaire.
Après une première décision d’instance, l’affaire est portée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Par arrêt rendu le 8 mars 2018, les juges du fond ordonnent l’attribution judiciaire sollicitée par la Banque et ce en raison du gage résultant du nantissement qu’elle détient sur le compte courant professionnel estimant que la mainlevée d’une saisie conservatoire constitue une opération en cours au sens de l’article 2360 du Code civil.
L’article 2360 du Code civil dispose, en effet, que :
« Lorsque le nantissement porte sur un compte, la créance nantie s’entend du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté sous réserve de la régularisation des opérations en cours, selon les modalités prévues par les procédures civiles d’exécution.
Sous cette même réserve, au cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d’une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers contre le constituant, les droits du créancier nanti portent sur le solde du compte à la date du jugement d’ouverture ».
Il résulte de ces dispositions que les droits du créancier nanti se limitent au solde du compte à la date du jugement d’ouverture, sauf régularisation des opérations en cours lui permettant ainsi d’étendre ses droits au solde du compte postérieurement à la date d’ouverture du jugement d’ouverture.
Ainsi, en l’espèce, une telle interprétation permet à la Banque de solliciter l’attribution judiciaire du solde du compte bancaire de la société S postérieurement à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, soit le 16 février 2015.
Toutefois, le liquidateur judiciaire de la société S ne partage pas cette analyse et décide de former un pourvoi en cassation.
Par arrêt rendu le 25 septembre 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le liquidateur judiciaire de la société S. En effet, la Cour suprême estime que :
« L’affectation des sommes sur lesquelles portaient les saisies conservatoires sur un compte spécialement ouvert par la banque à cet effet était une simple opération comptable destinée à les isoler dans l’attente du sort qui leur serait réservé, sans incidence sur les droits des parties, de sorte qu’en l’absence de conversion des saisies conservatoires avant l’ouverture de la procédure collective, ces sommes étaient réputées figurer sur le compte nanti au jour du jugement ayant mis la société en liquidation judiciaire ; que par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, la décision se trouve justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ».
Si la Cour de cassation ne se prononce pas expressément quant à la caractérisation d’une opération en cours, elle n’en relève pas moins qu’en l’espèce, faute de conversion des deux saisies conservatoires pratiquées antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, les sommes objet de ces saisies sont réputées figurer sur le compte nanti au jour du jugement d’ouverture.
Ainsi, ces sommes pouvaient être attribuées à la Banque en raison du nantissement qu’elle détient sur le compte litigieux.
Cette décision est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que le nantissement de compte bancaire constitue, en présence d’un compte créditeur, une garantie efficace pour les créanciers, en cas de procédure collective. En pratique, il apparait que cette garantie tend ainsi à se développer.
A rapprocher : Articles L.622-7, L.642-20-1 du Code de commerce ; Article 1260 du Code civil ; Article L.162-1 du Code des procédures civiles d’exécution