L’absence d’ingérence disproportionnée dans le droit de propriété du créancier non revendiquant

Cass. com., 3 avril 2019, n°18-11.247

La sanction de l’absence de revendication avant la fin du délai prévu à l’article L.624-9 du Code de commerce réside dans l’inopposabilité du droit de propriété à la procédure collective. Selon la Cour de cassation, cette atteinte au droit de propriété se justifie par un motif d’intérêt général et ne constitue pas une ingérence disproportionnée.

En l’espèce, la société P donne à bail une pelle hydraulique à la société B, par contrat conclu le 12 décembre 2012, et ce pour une durée de 32 mois.

Cependant, la société B est placée sous procédure de redressement judiciaire par un jugement du 25 février 2014.

Le 10 avril 2014, la société B informe son assureur que la pelle subit un sinistre, cette dernière étant immergée dans un étang.

Par jugement du 7 octobre 2014, la procédure de redressement judiciaire de la société B est convertie en procédure de liquidation judiciaire.

Le 21 novembre 2014, la société P fait procéder à l’enlèvement de la pelle hydraulique, toujours immergée, et en reprend possession sans former, préalablement, une action en revendication.

A cet égard, il convient de rappeler que l’article L.624-9 du Code de commerce impose au créancier de revendiquer son bien dans un délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure.

Le liquidateur décide alors de mettre en demeure, en vain, la société P de restituer cet actif au commissaire-priseur, et ce aux fins d’adjudication.

Le liquidateur décide alors d’assigner la société P aux mêmes fins.

Après une première décision d’instance, l’affaire est portée devant la cour d’appel de Douai laquelle rejette, par un arrêt du 23 novembre 2017, la demande en restitution du liquidateur.

En effet, les juges du fond estiment que, dans le cas d’espèce, l’application des dispositions de l’article L.624-9 du Code de commerce constituerait une ingérence disproportionnée dans le droit de propriété de la société P dans la mesure où elle se trouverait définitivement privée du droit de jouir et de disposer de la chose par la réalisation des actifs au stade de la liquidation.

Au demeurant, la cour d’appel estime que les objectifs visant à permettre la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi ne sauraient justifier l’atteinte au droit de propriété de la société P et que le seul objectif de permettre l’apurement du passif ne saurait constituer une cause d’utilité publique.

Le liquidateur décide alors de former un pourvoi en cassation.

La Haute cour fait droit à sa demande en cassant et annulant l’arrêt d’appel au visa de l’article L.624-9 du Code de commerce ainsi que de l’article 1 du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à la protection du droit de propriété.

Elle estime, par un attendu de principe, que la sanction de l’absence de revendication par le propriétaire d’un bien dans le délai légal consiste à rendre son droit de propriété inopposable à la procédure collective et que cette atteinte au droit de propriété, prévue par la loi, se justifie par un motif d’intérêt général.

La cour rappelle également que ce court délai de forclusion ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir.

Par conséquent, contrairement à ce que décide la juridiction d’appel, la Cour de cassation considère qu’aucun motif ne caractérise en l’espèce une ingérence disproportionnée.

Outre le fait de rappeler que la sanction de l’absence de revendication dans le délai légal réside dans l’inopposabilité à la procédure collective, la Cour de cassation rappelle également en filigrane la conformité de l’article L.624-9 du Code de commerce à l’article 1 du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à la protection du droit de propriété (Cass. com., 15 décembre 2015, n°13-25.566 ; Cass. com., 1er avril 2014, n°13-13574).

Cette décision n’est donc pas surprenante mais interroge sur la possibilité réelle, pour un créancier non revendiquant, de caractériser une atteinte disproportionnée à son droit de propriété dans le cadre d’une procédure collective.

A rapprocher : Article L.624-9 du Code de commerce ; Cass. com., 15 décembre 2015, n°13-25.566 ; Cass. com., 1er avril 2014, n°13-13.574 ; La conformité du délai de revendication à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, par Marie ROBINEAU

Sommaire

Autres articles

some
La désignation du débiteur par l’ordonnance du juge-commissaire en qualité de partie devant saisir la juridiction compétente pour trancher le litige, n’est pas exclusive de la qualité pour agir des autres parties
Cass. com. 2 mars 2022, n°20-21.712 En présence d’une contestation sérieuse de la créance déclarée relevée par le Juge-commissaire, l’action introduite – non par le débiteur pourtant désigné par l’ordonnance – mais par le liquidateur judiciaire dans le délai d’un…
some
Jugement réputé non avenu en l’absence de reprise de l’instance en cours interrompue
Civ. III, 12 janvier 2022, pourvoi n° 20-23.599 Les jugements même passés en force de chose jugée, obtenus après l’interruption de l’instance et sans que l’instance ait été régulièrement reprise sont réputés non avenus. En l’espèce, le syndicat de copropriétaires…
some
L’associé d’une société civile est-il éligible aux dispositions relatives au surendettement des particuliers ou aux dispositions du Livre VI du code de commerce ?
Cass. 2e civ., 16 décembre. 2021, n°20-16.485 La seule qualité d’associé d’une société civile ne suffit pas à faire relever la personne concernée du régime des procédures collectives et à l’exclure du champ d’application des dispositions du code de la…
some
Résiliation du bail pour non-paiement des loyers postérieurs
Cass. civ. 3ème, 24 novembre 2021, n°20-20.973 La procédure devant le juge-commissaire qui consiste, sur le fondement de l’article L. 641-12 alinéa 3 du Code de commerce, à demander le constat de la résiliation de plein droit du bail d’un…
some
Date des faits à prendre en compte pour l’extension de la liquidation judiciaire après résolution du plan
La jonction des procédures de liquidation judiciaire ouvertes après la résolution d’un plan peut être prononcée à raison d'une confusion des patrimoines caractérisée par des faits postérieurs au jugement arrêtant le plan.
some
Dessaisissement du débiteur et virements en cours au jour du prononcé de la liquidation judiciaire
Les ordres de virement émis par le débiteur avant le jugement prononçant sa liquidation judiciaire et emportant ainsi son dessaisissement, sont opposables à la procédure collective peu important qu’ils aient été exécutés après cette date.