Cass. com., 6 mars 2019, n°17-17.686
La Cour de cassation rappelle, en matière de nullités facultatives de la période suspecte, l’exigence pour les juges du fond, faisant droit à une demande fondée sur l’article L.632-2 du Code de commerce, d’établir de façon concrète et précise en quoi le bénéficiaire de l’acte avait connaissance, au moment de l’acte litigieux, de l’état de cessation des paiements du débiteur avec lequel il a traité.
En l’espèce, une société a été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire les 14 mai et 11 juin 2013. La date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal de commerce au 9 juillet 2012.
Le liquidateur de la société a constaté que la société débitrice avait, au cours de la période suspecte, réalisé des virements au profit de son président et que ce dernier avait effectué des prélèvements en espèces sur les comptes de la société.
Dans ces conditions, le liquidateur a saisi le tribunal de commerce de Sens sur le fondement de l’article L.632-2 du Code de commerce afin d’obtenir l’annulation des opérations litigieuses.
Par un jugement du 3 novembre 2015, le tribunal de commerce a fait droit à sa demande.
Le dirigeant de la société débitrice a interjeté appel du jugement.
La cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5 – chambre 9, 2 février 2017, n°16/07189) a confirmé le jugement rendu en première instance. Celle-ci a en effet retenu que le tribunal de commerce avait pris en compte, non seulement la connaissance personnelle qu’avait le dirigeant sur la trésorerie de l’entreprise mais aussi son évidente appréciation « personnelle » de la situation et donc, sa connaissance effective de la situation de l’entreprise. Dans ces conditions, elle a estimé, conformément à l’article L.632-2 du Code de commerce, que le dirigeant avait connaissance de l’existence de l’état de cessation des paiements de la société en cause.
Le dirigeant de la société débitrice s’est alors pourvu en cassation.
Au visa de l’article L.632-2 du Code de commerce et de l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel.
Elle a en effet considéré que la cour d’appel avait dénaturé le jugement de première instance en retenant que le tribunal de commerce avait établi la connaissance, par le dirigeant, de l’état de cessation des paiements de la société à la date des opérations litigieuses, alors même que ce jugement ne contenait aucun motif sur ce point.
En outre, la chambre commerciale a estimé que le simple fait pour la cour d’appel de retenir que la chronologie des faits montrait que le dirigeant connaissait l’existence de la cessation des paiements comme le démontrait le choix des actes effectués n’était pas suffisant ; dans la mesure où cette seule constatation n’a pas permis d’établir en quoi le dirigeant avait effectivement connaissance de l’état de cessation des paiements, c’est-à-dire de l’impossibilité pour la société qu’il dirige de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle les modalités d’annulation, par le juge, des actes passés en période suspecte sur le fondement de l’article L.632-2 du Code de commerce. En vertu de cette disposition, la nullité des paiements pour dettes échues ou actes à titres onéreux accomplis durant la période suspecte – c’est-à-dire entre la date de cessation des paiements et le jugement d’ouverture de la procédure collective – est facultative, puisque celle-ci est subordonnée à la preuve de la connaissance, par son bénéficiaire, de l’état de cessation des paiements (Article L.632-2, al. 1 du Code de commerce). Cette connaissance est indispensable à l’annulation des actes litigieux. En effet, contrairement aux nullités de droit qui sanctionnent des actes par nature anormaux, les nullités facultatives sanctionnent le comportement, l’attitude du cocontractant qui a traité avec un débiteur tout en étant conscient de son état de cessation des paiements. De ce fait, il ne peut avoir lieu à nullité qu’à la condition qu’il soit établi que le bénéficiaire de l’acte avait connaissance de l’état de cessation des paiements de son cocontractant. Les juges du fond disposent en la matière d’un pouvoir d’appréciation souverain. Pour autant, et tel que le rappelle la Cour de cassation en l’espèce, les juges du fond qui font droit à une demande d’annulation sur le fondement de l’article L.632-2 du Code de commerce ont l’obligation de caractériser concrètement et effectivement en quoi le bénéficiaire de l’acte – en l’espèce, le dirigeant de la société – avait connaissance de l’état de cessation des paiements du débiteur au moment de l’acte litigieux. En tout état de cause, il est admis que la seule qualité de dirigeant de la société débitrice ne présume pas sa connaissance de l’état de cessation des paiements (Cass. com., 19 novembre 2013, n°12-25.925).
A rapprocher : Article L.632-2 du Code de commerce ; Cass. com., 19 novembre 2013, n°12-25.925