Cass. com., 30 janvier 2019, n°17-22.223
Le créancier titulaire d’un droit de rétention sur un immeuble ne se dessaisit pas du bien en confiant à un tiers, l’occupation pour son compte du bien, et ne perd donc pas son droit de rétention.
Le droit de rétention ne fait pas obstacle à la vente du bien retenu. Le report du droit de rétention sur le prix en cas de vente du bien retenu dans les conditions posées à l’article L.642-20-1 du code de commerce, vaut tant pour les biens meubles, que les biens immeubles.
***
Le 12 septembre 2008, un couple a acquis un bien immeuble à une société, en vue d’y loger leur fille. La vente est annulée pour dol et la société venderesse est condamnée à la restitution du prix par un jugement en date du 22 septembre 2011. Par la suite, la société venderesse est mise en liquidation judiciaire le 30 juillet 2013. Le couple déclare à la procédure leur créance de restitution du prix de vente, celle-ci n’ayant pas été payée. Le liquidateur judiciaire assigne le couple, en contestant l’existence d’un droit de rétention issu des dispositions de l’article 2286 du code civil, et demande leur expulsion.
La Cour d’appel rejette la demande du liquidateur judiciaire, qui forme alors un pourvoi en excipant les deux arguments suivants. Tout d’abord, le couple se serait dessaisi de l’immeuble en y logeant leur fille, perdant ainsi leur droit de rétention en application de l’article 2286 du code civil. Par ailleurs, le maintien dans les lieux de l’occupante ferait obstacle à l’accomplissement par le liquidateur judiciaire de son obligation de réaliser le bien dans les six mois du jugement de liquidation, avec l’autorisation du juge-commissaire, conformément à l’article L.642-20-1 du code de commerce.
La Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel et rejette le pourvoi du liquidateur judiciaire.
Tout d’abord, la Cour retient que la détention d’un immeuble par le rétenteur peut s’exercer corpore alieno sans emporter dessaisissement volontaire au sens de l’article 2286 du code civil, la condition étant que le tiers occupe l’immeuble « du chef et pour le compte » du créancier rétenteur. Il est en effet admis que l’emprise sur la chose se réalise entre les mains d’un tiers, comme c’est le cas pour le gage avec entiercement.
Afin de caractériser la détention du bien par le couple, la Cour relève un certain nombre d’éléments factuels, la conclusion d’un contrat d’assurance sur l’immeuble par le couple, leur présence fréquente dans l’immeuble et la détention des clés par ces derniers.
De plus, par une convention écrite, le couple avait demandé à leur fille d’occuper l’immeuble pour leur compte.
Ensuite, la Cour rappelle que le droit de rétention ne fait pas obstacle à la vente du bien retenu, la saisine du juge-commissaire n’est donc pas subordonnée à la libération de l’immeuble retenu. Au contraire, la réalisation d’un bien grevé d’un droit de rétention est expressément prévue à l’article L.642-20-1 précité, et cet arrêt n’en est que la stricte application.
La Cour de cassation précise que l’alinéa 3 de l’article L.642-20-1 précité, qui prévoit le report du droit de rétention sur le prix en cas de vente, s’applique aux biens immeubles faisant l’objet d’un droit de rétention.
En effet, le texte ne fait aucune distinction selon que le bien retenu est un meuble ou un immeuble. Or, là où la Loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. Ainsi, c’est à raison que la Cour revient sur sa jurisprudence antérieure (Cass. civ. 3ème, 23 oct. 2002, n°98-18.109), en étendant le champ d’application de l’article L.642-20-1 du code de commerce aux immeubles.
A rapprocher : Art. 2286 du code civil et L.642-20-1 du code de commerce ; Cass. civ. 3ème, 23 oct. 2002, n°98-18.109