Cass. com., 5 septembre 2018, n°17-15.031
La Loi Sapin II, qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours au moment de son entrée en vigueur.
Ce qu’il faut retenir : La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite Loi Sapin II, qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours au moment de son entrée en vigueur.
Pour approfondir : L’application dans le temps de la loi nouvelle est un sujet récurrent du droit des entreprises en difficulté.
A défaut de disposition expresse du législateur, il convient de se référer aux dispositions des articles 1 et 2 du code civil.
Le principe dégagé par l’article 2 du code civil, principe qui peut souffrir exceptions, est que la loi nouvelle dispose pour l’avenir et n’a pas point d’effet rétroactif.
Si par principe la loi n’a pas d’effet rétroactif, il n’en demeure pas moins qu’elle est, de jurisprudence constante, d’application immédiate aux situations juridiques non contractuelles, sous réserve du respect des droits acquis.
En l’espèce, suivant jugement du 2 décembre 2011, une société a été placée en liquidation judiciaire.
Le liquidateur judiciaire a assigné la dirigeante en responsabilité pour insuffisance d’actif de cette société en se fondant sur les dispositions de l’article L.651-2 du code de commerce dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 146 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, qui écarte toute responsabilité « en cas de simple négligence du dirigeant ».
Le législateur était resté silencieux s’agissant de l’application dans le temps de la modification susvisée.
Par un arrêt du 17 janvier 2017, la Cour d’appel de Chambéry, aux fins de rejeter l’action du liquidateur judiciaire, avait jugé que les dispositions de l’article 146 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 étaient applicables aux procédures collectives en cours au moment de leur entrée en vigueur.
Le liquidateur judiciaire a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision. A l’appui de ses prétentions, il a soutenu que les dispositions antérieures à l’entrée en vigueur de l’article 146 de la loi 9 décembre 2016 devaient s’appliquer au cas d’espèce, et donc que la négligence du dirigeant pouvait constituer une faute de gestion susceptible d’engager sa responsabilité.
Par un arrêt du 5 septembre 2018, la Chambre commerciale a rejeté le pourvoi en ces termes : « Selon les articles 1 et 2 du code civil, la loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations et rapports juridiques établis ou formés avant sa promulgation, à moins que cette application immédiate ne méconnaisse un droit acquis ; que le caractère facultatif de la condamnation du dirigeant à supporter, en tout ou partie, l’insuffisance d’actif de la société exclut tout droit acquis du liquidateur à la réparation du préjudice auquel le dirigeant a contribué par sa faute de gestion ; qu’il en résulte qu’en l’absence de disposition contraire prévue par elle, la loi du 9 décembre 2016, qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours.»
C’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la question d’application dans le temps de l’article 146 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016.
Certaines cours d’appel avaient jugé que ces dispositions n’étaient pas applicables aux procédures collectives ouvertes avant le 11 décembre 2016, date d’entrée en vigueur de la loi (CA Versailles, 7 nov. 2017, n°17/04229).
La Cour de cassation justifie sa solution en se fondant sur le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle aux situations et rapports juridiques établis ou formés avant sa promulgation dans la mesure où ladite loi ne préjudicie pas aux droits acquis. Or, pour la Haute Cour, « le caractère facultatif de la condamnation du dirigeant à supporter, en tout ou partie, l’insuffisance d’actif de la société exclut tout droit acquis du liquidateur à la réparation du préjudice auquel le dirigeant a contribué par sa faute de gestion ».
A rapprocher : L.651-2 du code de commerce ; Loi Sapin II du 9 décembre 2016 ; CA Versailles, 7 nov. 2017, n°17/04229