CJUE, 6 juin 2018, aff C-250-17
L’instance en cours ayant pour objet la condamnation d’un débiteur au paiement d’une somme d’argent est une instance en cours au sens du règlement européen relatif aux procédures d’insolvabilité.
En l’espèce, le 25 juillet 2008, une personne physique, demeurant à Londres, a introduit devant le Tribunal d’arrondissement de Lisbonne, une action en recouvrement de créance fondée sur un contrat de fourniture de services contre une société dont le siège social est situé au Luxembourg.
Au cours de la procédure de recouvrement, le 10 octobre 2014, la société a été déclarée en état de faillite par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg. A compter de cette date, la masse de la faillite, représentée par le curateur à la faillite luxembourgeois, nommée par ce tribunal, est devenue partie défenderesse dans le cadre de ladite procédure.
Par ordonnance du 1er juin 2015, le Tribunal de Lisbonne a prononcé un non-lieu à statuer, en se fondant sur le droit portugais au motif que l’article 15 du règlement n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité (applicable aux faits de l’espèce) trouvait à s’appliquer au cas d’espèce.
L’article 15 du règlement n°1346/2000 du 29 mai 2000 dispose que : « les effets de la procédure d’insolvabilité sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi sont régis exclusivement par la loi de l’Etat membre dans lequel cette instance est en cours ».
La Cour d’appel de Lisbonne ayant confirmé la décision de première instance, la personne physique a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour suprême soutenant, en se fondant sur l’article 4 dudit règlement (qui pose les règles générales de conflit de lois), que le droit luxembourgeois était applicable aux faits de l’espèce ; l’article 15 du règlement n’étant selon lui applicable qu’aux instances en cours ayant pour objet un bien ou un droit déterminé (ce que ne serait pas une instance en paiement).
Dans ces circonstances, la Cour suprême a posé à la Cour de justice de l’Union Européenne la question préjudicielle suivante :
« L’article 15 du (règlement n°1346/2000) doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique à une instance en cours devant une juridiction d’un Etat membre ayant pour objet la condamnation d’un débiteur au paiement d’une somme d’argent, due en vertu d’un contrat de prestation de services, ainsi que d’une indemnisation pécuniaire pour non-respect de cette même obligation contractuelle, dans la mesure où : i) le débiteur a été déclaré insolvable dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre et ii) la déclaration d’insolvabilité couvre tout le patrimoine du débiteur. »
La juridiction de renvoi cherche ainsi à savoir si l’expression « un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi » s’applique uniquement aux seules instances en cours portant sur un bien ou un droit déterminé de sorte qu’il conviendrait d’exclure du champ d’application de ces dispositions les instances portant sur le paiement d’une somme d’argent au titre d’une obligation contractuelle.
Par un arrêt du 6 juin 2018, la Cour de justice de l’Union Européenne se prononce sur la portée de l’article 15 du règlement du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité en décidant en ces termes que :
« L’article 15 du règlement n°1346/2000 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une instance en cours devant une juridiction d’un Etat membre ayant pour objet la condamnation d’un débiteur au paiement d’une somme d’argent, due en vertu d’un contrat de prestation de services, ainsi qu’à une indemnisation pécuniaire pour non-respect de cette même obligation contractuelle, dans le cas où ce débiteur a été déclaré insolvable dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre et où cette déclaration d’insolvabilité s’étend à l’ensemble du patrimoine dudit débiteur ».
La Cour de justice de l’Union Européenne justifie notamment sa solution en interprétant l’article 15 du règlement n°1346/2000 à l’aune de l’article 4 paragraphe 2, sous f) du même règlement.
L’article 4 paragraphe 2, sous f) dispose que la loi de l’Etat d’ouverture détermine « les effets de la procédure d’insolvabilité sur les poursuites individuelles, à l’exception des instances en cours ».
Or, il ne ressort pas de ces dernières dispositions que les instances en cours portent sur un droit ou sur un bien déterminé. Le juge européen en déduit que l’expression générale « instance en cours » de l’article 4 du règlement confirme, au contraire, que les dispositions de l’article 15 du même règlement s’appliquent aux instances en cours portant non pas uniquement sur un droit ou un bien déterminé mais, plus largement, sur un bien ou sur un droit relevant de la masse d’insolvabilité.
La Cour de justice de l’Union Européenne justifie par ailleurs sa position au regard de l’objectif poursuivi par le règlement, tel qu’il ressort de son considérant 8, visant à améliorer et à accélérer les procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers. Ainsi, l’application de la loi de l’Etat membre dans lequel l’instance est en cours s’inscrit directement dans cet objectif.
Toutefois, le juge européen rappelle que les procédures d’exécution forcée ne relèvent pas du champ d’application de l’article 15 dudit règlement (CJUE, 9 novembre 2016, ENEFI, aff C212/15).
La portée de cette décision s’étend aux dispositions de l’article 18 du règlement n°2015/848 du 20 mai 2015 (applicables aux procédures d’insolvabilité ouvertes à compter du 26 juin 2017), relatif aux procédures d’insolvabilité, lesquelles reprennent la teneur de l’article 15 du règlement n°1346/2000 du 29 mai 2000 précité.
A rapprocher : Article 15 du règlement n°1346/2000 ; Article 4 paragraphe 2, sous f) du règlement n°1346/2000 ; Article 16 paragraphe 1 du règlement n°1346/2000 ; CJUE, 9 novembre 2016, ENEFI, aff C212/15