Cass. com., 24 mai 2018, n°17-18.918
Le respect du principe constitutionnel de nécessité des peines commande que, lorsque le juge civil est amené à prononcer une sanction ayant le caractère d’une punition telle que l’interdiction de gérer, la loi nouvelle moins sévère reçoive application aux procédures collectives en cours.
Ce qu’il faut retenir : Le respect du principe constitutionnel de nécessité des peines, reconnu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont découle la règle de l’application immédiate de la loi pénale plus douce, commande que, lorsque le juge civil est amené à prononcer une sanction ayant le caractère d’une punition telle que l’interdiction de gérer prévue par l’article L.653-8 du Code de commerce, la loi nouvelle moins sévère reçoive application aux procédures collectives en cours.
Pour approfondir : En l’espèce, suivant jugement du 31 octobre 2013, un tribunal de commerce a, sur déclaration de cessation des paiements, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard d’une société en fixant la date de cessation des paiements au 31 mai 2013. Suivant jugement du 18 mars 2014, le tribunal a, sur assignation de deux salariés, prononcé la liquidation judiciaire d’une autre société en fixant la date de cessation des paiements au 27 septembre 2013.
Le procureur de la République a saisi le tribunal d’une demande de sanctions à l’encontre du dirigeant de deux sociétés pour faute de gestion. Ce dernier a été condamné à une interdiction de gérer pour une durée de trois ans notamment pour défaut de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq jours.
Par un arrêt du 30 mars 2017, la Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement en jugeant que les dispositions du nouvel article L.653-8 alinéa 3 du Code de commerce, issues de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, qui prévoient que l’omission d’une demande d’ouverture d’une procédure collective dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements ne peut être sanctionnée par une mesure d’interdiction de gérer que si elle est intervenue sciemment, n’étaient applicables qu’aux procédures collectives ouvertes après le 8 août 2015 (date d’entrée en vigueur de la loi) au motif que les sanctions pénales, d’une part, et les sanctions pécuniaires et personnelles qui pouvaient être prononcées par les juridictions civiles ou commerciales dans le cadre des procédures collectives, d’autre part, étaient de nature différente.
Saisie d’un pourvoi formé par le dirigeant, la Cour de cassation, par un arrêt du 24 mai 2018 publié au bulletin, casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa du principe constitutionnel de nécessité des peines reconnu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et des dispositions de l’article L.653-8 alinéa 3 du Code de commerce dans leur rédaction issue de la loi du 6 août 2015.
Dans son attendu de principe, la Haute Juridiction expose que : « le respect du principe constitutionnel susvisé, dont découle la règle de l’application immédiate de la loi pénale plus douce, commande que, lorsque le juge civil est amené à prononcer une sanction ayant le caractère d’une punition telle que l’interdiction de gérer prévue par l’article L.653-8 du Code de commerce, la loi nouvelle moins sévère reçoive application aux procédures collectives en cours ».
La Cour de cassation rejette la distinction opérée par la Cour d’appel entre les sanctions pénales et les sanctions pécuniaires et personnelles qui peuvent être prononcées par les juridictions civiles ou commerciales dans le cadre des procédures collectives. Partant, en vertu du principe de l’application immédiate de la loi la moins sévère pour les dirigeants, elle décide que la loi 6 août 2015, qui modifie les dispositions de l’article L.653-8 alinéa 3 du Code de commerce dans un sens moins sévère en exigeant que le défaut de déclaration de la cessation des paiement dans les quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements intervienne sciemment, est applicable aux procédures collectives en cours à la date de son entrée en vigueur.
Par cet arrêt, la Cour de cassation tranche clairement (et définitivement) les interrogations qui ont concerné l’application dans le temps des dispositions de l’article L.653-8 alinéa 3 du Code de commerce issues de la loi 6 août 2015.
Cet arrêt est conforme à la position du Conseil constitutionnel qui elle aussi avait qualifié de sanction l’interdiction de gérer (Cons. const. 29 sept. 2016, n° 2016-570 QPC).
Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour de cassation décide que la condamnation à l’interdiction de gérer ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes ; la cassation encourue à raison de l’une d’entre elles (défaut de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq jours) entraîne la cassation de l’arrêt en application du principe de proportionnalité (Cass. com. 1er déc. 2009, n°08-17.187).
A rapprocher : Article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; L.653-8 alinéa 3 du Code de commerce