QPC, 13 avril 2018, n°2018-700
La majoration de la limite d’imputation des déficits reportables sur les bénéfices postérieurs en cas d’abandon de créance, prévue par l’article 209 du Code général des impôts, ne profite qu’aux entreprises en difficulté ayant bénéficié de ces abandons.
Ce qu’il faut retenir : La majoration de la limite d’imputation des déficits reportables sur les bénéfices postérieurs en cas d’abandon de créance, prévue par l’article 209 du Code général des impôts, ne profite qu’aux entreprises en difficulté ayant bénéficié de ces abandons. La clarification tenant à la détermination des sociétés bénéficiaires de cette majoration, apportée par le paragraphe II de l’article 17 de la loi du 29 décembre 2016 n°2016-1917, ne remet pas en cause les situations légalement acquises. Par conséquent, la rétroactivité de ces nouvelles dispositions n’est pas inconstitutionnelle.
Pour approfondir : En l’espèce, la société T, à la tête d’un groupe intégré, consent à une de ses filiales, placée en procédure de redressement judiciaire depuis le 1er juin 2012, un abandon de créances à hauteur de 17,5 millions d’euros.
Au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2012, la société T réalise un résultat net à hauteur de 172,2 millions d’euros et cumule un déficit reportable d’environ 2 milliards d’euros.
A l’époque, les dispositions de l’article 209 du Code général des impôts disposent que :
« Sous réserve de l’option prévue à l’article 220 quinquies, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d’un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant. Si ce bénéfice n’est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l’excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants.
Il en est de même de la fraction de déficit non admise en déduction en application de la première phrase du présent alinéa.
La limite de 1 000 000 € mentionnée au troisième alinéa est majorée du montant des abandons de créances consentis à une société en application d’un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l’article L.611-8 du Code de commerce ou dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ouverte à son nom ».
Opérant une interprétation littérale de ce texte, la société T décide d’appliquer la majoration de la limite d’imputation des déficits reportables en cas d’abandon de créance.
Concrètement, elle impute la somme de 18 500 000,00 € sur ses bénéfices réalisés sur l’exercice 2012, ce qui diminue considérablement son résultat net imposable au titre de l’impôt sur les sociétés.
Or, si les dispositions précitées peuvent effectivement prêter à confusion, la doctrine administrative précise clairement, notamment dans le cadre du BOFIP, qu’en réalité, seule la société qui bénéficie de ces abandons de créances peut prétendre à l’application de la majoration.
Compte tenu de ce positionnement de l’administration, l’application de l’imputation majorée réalisée par la société T sur son exercice comptable au titre de l’année 2012 est contestée dans le cadre d’une vérification de comptabilité.
La société T décide alors de former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre du commentaire interprétatif de l’administration fiscale publié au BOFIP.
Au soutien de son recours, la société T soulève une question prioritaire de constitutionnalité relative aux nouvelles dispositions résultant de la modification de l’article 209 du Code général des impôts.
En effet, entre temps, les dispositions de l’article 209 du Code général des impôts ont été clarifiées par le paragraphe II de l’article 17 de la loi du 29 décembre 2016 n°2016-1917 et précisent expressément que seule l’entreprise en difficulté, qui a bénéficié d’un abandon de créance, peut prétendre à l’application de la majoration.
Le législateur spécifie que ces nouvelles dispositions ont un caractère interprétatif et sont, par conséquent, rétroactivement applicables à compter des exercices clos au 31 décembre 2012.
La société T estime ainsi que le caractère rétroactif de ces nouvelles dispositions expresses porte atteinte à des situations légalement acquises, la sienne y compris.
Après une décision de renvoi du 26 janvier 2018 du Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel confirme, par une décision du 13 avril 2018, la constitutionnalité des dispositions précitées.
Les juges constitutionnels estiment ainsi que, dès 2012, le législateur « a entendu donner aux sociétés auxquelles ont été consentis des abandons de créances (…) la possibilité de majorer la limite de déficit déductible du bénéfice d’un exercice, à hauteur du montant des abandons de créances qui leur ont été consentis au cours de cet exercice. Il a ainsi entendu soutenir les entreprises en difficulté ».
Les nouvelles dispositions ne remettent ainsi pas en cause des situations légalement acquises puisque, dès 2012, la majoration n’aurait été envisagée que pour les sociétés en difficulté bénéficiant des abandons de créance.
Cette décision appelle plusieurs remarques.
D’une part, les sociétés qui auraient consentis des abandons de créance et qui auraient appliqué cette majoration, risquent désormais de voir rectifier leur résultat imposable jusqu’aux exercices comptables clôturées au 31 décembre 2012.
D’autre part, l’interprétation administrative et la confirmation opérée par le Conseil constitutionnel, ne sont pas forcément évidentes.
En effet, chacun sait qu’une entreprise en difficulté dispose rarement d’une capacité bénéficiaire ce qui amoindrit considérablement l’intérêt d’un tel mécanisme pour ces dernières.
A contrario, une société qui consent des abandons de créances dispose généralement de cette capacité bénéficiaire, ce qui ne peut que l’inciter à procéder à de tels abandons.
Dans ces circonstances, si le bénéfice de la majoration de la limite de l’imputation des déficits reportables avait été accordé aux entreprises consentant des abandons de créances, il ne fait aucun doute que cela aurait également permis, indirectement, de soutenir les entreprises en difficulté.
A rapprocher : Article 209 du CGI ; Décision de renvoi du Conseil d’Etat du 28 janvier 2018, n°415695 ; Paragraphe II de l’article 17 de la loi du 29 décembre 2016 n°2016-1917