La déclaration de créance n’est pas suffisante pour interrompre le délai de péremption d’une instance en cours

Cass. com., 11 avril 2018, n°16-20.149

La déclaration de créance au passif de la procédure collective du débiteur n’est pas isolément une diligence interruptive de péremption de l’instance en cours au moment de l’ouverture de la procédure collective. 

Ce qu’il faut retenir : La déclaration de créance au passif de la procédure collective du débiteur n’est pas isolément une diligence interruptive de péremption de l’instance en cours au moment de l’ouverture de la procédure collective. Seule une reprise régulière de l’instance en cours, qui nécessite également une mise en cause des mandataires de justice, interrompt le délai biennal de péremption qui court à l’encontre du créancier.

Pour approfondir : En l’espèce, par acte en date du 1er mars 2010, une société preneuse à bail commercial a assigné la société bailleresse en révision du montant du loyer devant le juge des loyers commerciaux.

Suivant jugement du 21 juillet 2011, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de la société bailleresse interrompant ainsi l’instance en cours devant le juge des loyers commerciaux conformément aux dispositions de l’article L.622-21 du Code de commerce.

Le 5 octobre 2011, le locataire a déclaré au passif de la procédure collective du bailleur une créance au titre de la régularisation du loyer. Par acte en date du 27 septembre 2013, plus de deux ans après l’ouverture de la procédure collective du bailleur, le locataire a assigné, en intervention forcée, devant le juge des loyers commerciaux le mandataire judiciaire et le commissaire à l’exécution du plan (un plan de redressement ayant été adopté dans l’intervalle).

Dans le cadre de l’instance en cours devant le juge des loyers commerciaux, le bailleur a sollicité qu’il soit constaté la péremption de l’instance, faute pour le locataire d’avoir procédé dans les deux ans de l’ouverture de la procédure collective à une reprise d’instance régulière qui passait, en application des dispositions des articles L.622-22 et R.622-20 du Code de commerce, par la réalisation dans ce délai de deux diligences : une déclaration de créance et la mise en cause des mandataires de justice.

Le bailleur avait rappelé que le délai biennal de péremption prévu à l’article 386 du Code de procédure civile continuait à courir à l’égard du créancier ; seuls le débiteur et les organes de la procédure collective pouvaient se prévaloir de l’interruption du délai de péremption prévue à l’article 392 du Code de procédure civile en raison de l’interruption d’instance issue de de l’ouverture de la procédure collective (Cass. civ. 2ème, 10 janvier 2008, n°07-10.974 ; Cass. com., 28 juin 2006, n°04-16.316, Bull. civ. II, n°175).

En défense, le locataire avait soutenu que la déclaration de créance effectuée dans les deux ans de l’ouverture de la procédure collective avait eu pour effet d’interrompre le délai de péremption dans le cadre de l’instance en cours, et de faire courir un nouveau délai de deux ans à l’intérieur duquel il avait mis en cause les mandataires de justice.

Par jugement en date du 12 mai 2014, le juge des loyers commerciaux du Tribunal de grande instance de Nanterre a fait droit à la demande formée par la société bailleresse en constatant la péremption et l’extinction de l’instance initiée par le locataire, ce dernier n’ayant pas procédé dans les deux ans de l’ouverture de la procédure collective à une reprise régulière de l’instance en cours qui passait par une déclaration de créance au passif de la procédure collective du débiteur et par la mise en cause des mandataires de justice. Sur appel du locataire, la Cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement aux motifs que la déclaration de créance de ce dernier constituait en elle-même une diligence interruptive de péremption dans le cadre de l’instance en cours et faisait donc courir un nouveau délai de deux ans dans lequel la mise en cause des mandataires de justice était intervenue. La société bailleresse et ses mandataires de justice ont alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si la déclaration de créance constituait en elle-même une diligence interruptive de péremption continuant à courir dans le cadre de l’instance en cours à l’égard du créancier.

Au visa des articles L.622-22 et R.622-20 du Code de commerce et des articles 386 et 392 du Code de procédure civile, et suivant en cela la position originelle du bailleur, la Cour de cassation, par un arrêt du 11 avril 2018, casse sans renvoi l’arrêt de la Cour d’appel en décidant en ces termes que : « le redressement judiciaire de la (société bailleresse) n’avait interrompu l’instance et, partant, le délai de péremption, qu’au profit de cette seule partie, de sorte que, le créancier ne pouvant s’en prévaloir, la (société bailleresse) et les mandataires judiciaires étaient fondés à soutenir que l’instance était périmée, faute pour lui d’avoir accompli dans le délai de deux ans les diligences nécessaires à sa reprise régulière. »

Selon les dispositions de l’article L.622-22 du Code de commerce : « (…) les instances en cours sont interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan nommé en application de l’article L.626-25 dûment appelés (…) ».

La déclaration de créance intervient uniquement dans le cadre de la procédure collective et non dans l’instance interrompue elle-même. Son objectif étant d’inscrire la créance au passif de la procédure collective du débiteur, elle existe indépendamment de son invocation dans l’instance reprise et conserve son autonomie. Elle ne constitue pas à elle seule une diligence interruptive de péremption dans le cadre de l’instance en cours. Elle n’est pas suffisante.

En réalité, les créanciers doivent respecter les formalités prévues par les dispositions de l’article R.622-20 du Code de commerce : « L’instance interrompue en application de l’article L.622-22 est reprise à l’initiative du créancier demandeur, dès que celui-ci a produit à la juridiction saisie de l’instance une copie de la déclaration de sa créance ou tout autre élément justifiant de la mention de sa créance sur la liste prévue par l’article L.624-1 et mis en cause le mandataire judiciaire ainsi que, le cas échéant, l’administrateur lorsqu’il a pour mission d’assister le débiteur ou le commissaire à l’exécution du plan.»

Seule une reprise régulière de l’instance dans le délai de deux ans, passant à la fois par une déclaration de créance et par la mise en cause des mandataires de justice, permet au créancier d’interrompre le délai de péremption qui continue à courir à son égard.

La Cour de cassation rend ainsi une décision justifiée et dans le prolongement de sa jurisprudence en la matière (Cass. com., 10 janvier 2008, n°07-10.974, Cass. com., 28 juin 2006, n°04-16.316, Cass. com., 23 novembre 2004, n°02-15.642).

A rapprocher : L.622-21, L.622-22 et R.622-22 du Code de commerce ; 386 et 392 du Code de procédure civile ; Cass. com., 10 janvier 2008, n°07-10.974 ; Cass. com., 28 juin 2006, n°04-16.316 ; Cass. com., 23 novembre 2004, n°02-15.642

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