CA Nîmes, 4ème ch. com., 22 mars 2018, n°17/03526
Si le dépôt des comptes sociaux s’inscrit comme une mesure d’information des tiers sur la santé d’une entreprise, il s’inscrit également comme un mode de prévention des difficultés.
Ce qu’il faut retenir : Si le dépôt des comptes sociaux s’inscrit comme une mesure d’information des tiers sur la santé d’une entreprise, il s’inscrit également comme un mode de prévention des difficultés, ce qui peut justifier la condamnation récente de la Cour d’appel de Nîmes d’une société non déposante à une astreinte de 500 € par jour de retard.
Pour approfondir : En l’espèce, une société commerciale ne procède pas au dépôt de ses comptes annuels auprès du Greffe du Tribunal de commerce d’Avignon, et ce en contradiction avec les dispositions de l’article L.232-22 du Code de commerce.
En effet, aux termes de cet article, il est indiqué que les sociétés commerciales doivent déposer leurs comptes sociaux dans le mois qui suit l’approbation des comptes.
Il faut préciser que cette obligation de dépôt des comptes sociaux, loin d’être une spécificité française, résulte du droit européen et notamment de la directive 68/15/CEE du 9 mars 1968 laquelle a imposé à l’ensemble des Etats membres de rendre obligatoire la publication des comptes sociaux.
En revanche, la mise en œuvre de cette obligation, et notamment de sa sanction, diffère selon les Etats membres.
Ainsi, à titre d’exemple, en Belgique, l’entreprise qui ne dépose pas ses comptes sociaux, ne reçoit des relances qu’à défaut du dépôt sur trois exercices consécutifs. Ce n’est qu’après ces relances que l’entreprise pourra être sanctionnée.
Il existe donc une disparité entre les Etats membres sur la mise en œuvre de l’obligation de dépôts des comptes sociaux.
En l’espèce, faute pour la société T de ne pas respecter cette obligation, cette dernière se voit adresser de multiples relances par le Greffe du Tribunal de commerce d’Avignon aux fins de régulariser ce dépôt.
Le Ministère public, informé de la situation, indique, par ailleurs, aux représentants légaux de la société T, qu’à défaut de régularisation dans les plus brefs délais, des poursuites pénales pourraient être engagées. En effet, l’article R.247-3 du Code de commerce prévoit que l’absence de dépôt des comptes sociaux est sanctionnée par une amende de 1.500,00 €. Par ailleurs, l’article L.611-2 du Code de commerce permet au Président du tribunal de commerce de rendre une ordonnance faisant injonction au représentant légal de la personne morale de déposer les comptes sociaux dans un délai d’un mois sous peine d’astreinte.
En l’espèce, le Président du Tribunal de commerce d’Avignon met en œuvre cette seconde sanction et décide, par ordonnance du 4 mai 2017, d’enjoindre les représentants légaux de la société T à déposer les comptes sociaux dans le mois de la notification de l’ordonnance sous peine d’astreinte à hauteur de 500 € par jour de retard, ce qui peut apparaître sévère.
Compte tenu de l’absence de régularisation du dépôt des comptes sociaux, le Ministère public sollicite la liquidation de l’astreinte.
Par ordonnance du 19 juillet 2017, le Président du Tribunal de commerce d’Avignon décide de liquider l’astreinte à hauteur de 15.000,00 €, correspondant à 30 jours de retard, et condamne la société T au paiement de cette somme.
La société T, par l’intermédiaire de ses représentants légaux, relève appel de cette ordonnance estimant notamment que la sanction est disproportionnée et inutile. L’affaire est alors portée devant la Cour d’appel de Nîmes, laquelle confirme, par arrêt du 22 mars 2018, l’ordonnance rendue le 19 juillet 2017.
En effet, les juges du fond justifient cette sanction à deux titres.
D’une part, le dépôt des comptes sociaux constitue une mesure d’information et de contrôle de la bonne santé des entreprises vis-à-vis des tiers. D’autre part, et plus particulièrement, les juges du fond indiquent que ce dépôt constitue un mode de prévention des difficultés des entreprises.
Similairement, la Cour d’appel de Rennes a pu, quelques mois auparavant, affirmer également ce rôle préventif du dépôt des comptes sociaux, dans un arrêt rendu le 21 février 2017, n°15/07293.
Si ce rôle préventif apparaît louable, en revanche son efficacité se trouve confrontée à diverses problématiques.
Premièrement, il est constant que le manque de moyens matériels et humains s’oppose à une vérification systématique, par les services du greffe du tribunal de commerce, de tous les dépôts des comptes sociaux. Dès lors, il est évident que la majorité des juridictions consulaires ne sanctionne pas ou très peu l’absence de dépôt des comptes sociaux, ce qui génère une forte disparité entre les juridictions et entre les entreprises elles-mêmes. Dans ces circonstances, le rôle préventif tiré du contrôle de l’absence de dépôt des comptes sociaux est très clairement amoindri.
Deuxièmement, certaines sociétés commerciales refusent catégoriquement de déposer leurs comptes sociaux en raison de la publicité qui en est faite à l’égard des tiers, nationaux ou européens, et invoquent ainsi un problème de confidentialité et/ou de concurrence.
Cette dernière difficulté pourrait néanmoins être dépassée grâce à la déclaration de confidentialité, conformément aux dispositions de l’article L.232-25 du Code de commerce.
Toutefois, cette possibilité, souvent ignorée des petites entreprises, est réservée aux microentreprises c’est-à-dire, en application de l’article D.123-200 du Code de commerce, aux entreprises qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants :
- Total bilan : 350.000,00 €
- Montant net CA : 700.000,00 €,
- Nombre de salariés moyens : 10.
Dès lors, de nombreuses entreprises de taille moyenne se trouvent de facto excluent du bénéfice de la déclaration de confidentialité.
Ainsi, dans la mesure où le dépôt des comptes sociaux constitue un mode de prévention des difficultés, il serait certainement opportun de relever ces seuils afin d’inciter les entreprises réfractaires à déposer leurs comptes annuels.
Aussi, si le dépôt des comptes sociaux peut s’analyser comme un mode de prévention des difficultés, certaines mesures nationales et européennes devraient être prises afin de le rendre véritablement efficaces.
A rapprocher : Articles L.611-2, L.232-22, L.232-25, R.247-3 et D123-200 du Code de commerce ; Directives du 9 mars 1968, n°68/15/CEE, et du 25 juillet 1978, n°78/660/CEE ; CA Rennes, 21 février 2017, n°15/07293