Cass. com., 13 avril 2022, n°21-12.994
Le comportement prévu par l’article L. 653-4, 4°, du Code de commerce, qui sanctionne par la faillite personnelle le fait pour un dirigeant de poursuivre abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne peut conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale, peut être caractérisé même lorsque la cessation des paiements est déjà survenue.
En l’espèce, une société a été mise en liquidation judiciaire le 19 novembre 2014.
La date de cessation des paiements a été fixée au 19 mai 2013.
Reprochant différentes fautes de gestion à son dirigeant, le liquidateur a, d’une part, recherché sa responsabilité pour insuffisance d’actif et l’a, d’autre part, assigné en sanction personnelle.
Par un arrêt du 26 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris a prononcé une mesure de faillite personnelle à l’encontre du dirigeant pour une durée de 8 ans, en raison notamment du fait qu’il avait, depuis 2014, poursuivi abusivement et dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire.
Le dirigeant s’est pourvu en cassation.
Ce dernier considérait que la poursuite de l’activité courant 2014 (telle qu’elle lui était reprochée par la Cour d’appel) ne pouvait, par nature, « conduire à la cessation des paiements » de la société débitrice au sens de l’article L.653-4, 4° du Code de commerce, puisque la cessation des paiements de la société débitrice avait été fixée au 19 mai 2013 et était donc déjà intervenue.
Dans ces conditions, le dirigeant estimait que les éléments constitutifs de la faillite personnelle, tels que prévus par cette disposition, n’étaient pas réunis.
Par le présent arrêt, la Cour de cassation rejette le pourvoi au visa de l’article L.653-4, 4° du Code de commerce.
La Haute juridiction rappelle, en premier lieu et de façon classique, les termes de cette disposition, selon laquelle constitue un cas de faillite personnelle le fait pour un dirigeant d’ « avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale. »
En second lieu et de façon plus originale, la Cour de cassation précise toutefois qu’un tel comportement, constitutif d’un cas de faillite personnelle, « peut être caractérisé même lorsque la cessation des paiements est déjà survenue. »
Le présent arrêt apparaît donc comme l’occasion, pour la Haute Cour, de rappeler les règles applicables en matière de poursuite d’une activité déficitaire, tout en apportant une précision quant à l’appréciation de cette faute par rapport à la date de cessation des paiements.
L’on sait en effet que tout dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale placée en redressement ou liquidation judiciaire peut être condamné à une mesure de faillite personnelle (C. com., art. L.653-4).
Les cas de faillite personnelle sont limitativement énumérés à l’article L.653-4 du Code de commerce (Cass. com., 17 nov. 1992, n°90-20.299 ; Cass. com., 6 janv. 1998, n°95-11.544).
Parmi ceux-ci, figure le fait, pour le dirigeant, d’ « avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale » (C. com., art. L.653-4, 4°).
Par le présent arrêt, la Cour de cassation rappelle donc de façon classique les éléments constitutifs de ce cas de faillite personnelle, à savoir (i) la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, (ii) dans un intérêt personnel et (iii) et ne pouvant conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale.
Concernant les deux premières conditions, elle approuve ainsi les juges du fond d’avoir en l’espèce constaté que :
· l’exploitation de la société débitrice était gravement déficitaire au 31 décembre 2013 et que le principal client de la société (représentant 91 % du chiffre d’affaires) avait dans le même temps été perdu ;
· que malgré cette situation, son dirigeant avait néanmoins poursuivi l’activité de la société :
– d’une part, abusivement dès lors que celui-ci s’était abstenu de s’acquitter des charges sociales et fiscales en 2014 ;
– et d’autre part, dans un intérêt personnel, puisque la poursuite de l’activité dans de telles conditions lui avait permis de faire profiter une société tierce (dont il était l’associé unique et le gérant) de la clientèle de la société débitrice.
Concernant la troisième et dernière condition, la question se posait de savoir si le comportement sanctionné à l’article L.653-4, 4° du Code de commerce était également caractérisé lorsque la poursuite de l’activité déficitaire avait eu lieu postérieurement à la date de cessation des paiements, de sorte qu’elle n’avait pas « conduit » à la cessation des paiements.
La Cour de cassation répond par la positive et juge en l’espèce, que forte de ces constatations et appréciations, la Cour d’appel avait pu légitimement juger que le dirigeant avait, « courant 2014, commis le fait prévu par l’article L. 653-4, 4°, du Code de commerce, justifiant le prononcé de sa faillite personnelle, peu important que la date de cessation des paiements ait été fixée au 19 mai 2013. »
Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif, puisqu’elle avait d’ores et déjà admis que « la faute de gestion consistant pour un dirigeant social à poursuivre une exploitation déficitaire n’est pas subordonnée à la constatation d’un état de cessation des paiements de la société antérieur ou concomitant à cette poursuite » (Cass. com., 27 avr. 1993, n°91-14.204 ; v. également plus récemment : Cass. com., 25 oct. 2017, n°16-17.584).
La présente décision permet donc de prolonger l’application de cette solution en matière de faillite personnelle.
Par conséquent, il résulte de cette jurisprudence que le cas de faillite personnelle visé à l’article L.653-4, 4° du Code de commerce est caractérisé tant lorsque la poursuite de l’exploitation déficitaire a donné naissance à l’état de cessation des paiements de la société débitrice qu’au cas dans lequel elle a aggravé un état de cessation des paiements qui était d’ores et déjà avéré.