Cass. com., 31 mars 2021, n°19-14.839
Si l’associé est, en principe, représenté par le dirigeant de la société dans les litiges opposant cette dernière à des tiers, celui-ci est néanmoins recevable à former tierce opposition contre un jugement auquel cette société a été partie s’il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre. Tel est précisément le cas de l’associé qui a été évincé par l’adoption d’un plan de redressement portant atteinte à son droit préférentiel de souscription et ce, peu important que d’autres associés disposaient de ce même droit.
En l’espèce, une société anonyme a été placée en redressement judiciaire.
Dans le cadre de cette procédure, l’un des actionnaires a formé tierce opposition à un arrêt d’appel du 30 septembre 2017 ayant adopté le plan de redressement de la société débitrice dans les termes de la proposition élaborée par un tiers.
Le 5 mars 2018, l’assemblée générale de la société a, conformément au plan de redressement adopté par le tribunal, voté le « coup d’accordéon » et ainsi procédé à une réduction du capital à zéro suivie d’une augmentation de capital au profit de ce tiers, lequel est devenu l’actionnaire unique de la société.
Par un arrêt en date du 20 septembre 2018, la cour d’appel de Caen a déclaré irrecevable la tierce opposition formée par l’actionnaire, lequel invoquait une atteinte à sa qualité d’associé et à son droit préférentiel de souscription. Les juges du fond ont en effet considéré que les moyens invoqués par le tiers opposant avaient déjà été soutenus et défendus par le dirigeant de la société débitrice dans le cadre de l’instance ayant abouti à l’arrêt du 30 septembre 2017, lequel représentait à cette occasion, l’intégralité des associés. La cour d’appel a en outre relevé que les moyens soulevés concernaient tous les associés et qu’ils leur étaient donc communs.
Elle en a donc déduit que le tiers opposant, n’étant pas le seul à pouvoir invoquer de tels motifs, ne justifiait pas de motifs propres au sens des dispositions de l’article 583 du Code de procédure civile et que sa tierce opposition était donc irrecevable.
L’actionnaire s’est pourvu en cassation au motif que la représentation des associés par le représentant légal d’une société doit être limitée aux hypothèses où l’atteinte aux droits et au patrimoine des associés n’est que la conséquence indirecte de l’atteinte aux droits et au patrimoine de la société. Or, il relevait qu’en l’espèce, la perte de sa qualité d’associé et de son droit préférentiel de souscription par suite de l’adoption du plan de redressement s’analysait en une atteinte directe à ses droits, que dès lors il ne pouvait être représenté par le dirigeant de la société débitrice et, qu’ainsi, les juges du fond avaient violé l’article 583 du Code de procédure civile et l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme en déclarant sa tierce opposition irrecevable.
Par un arrêt du 31 mars 2021, la Cour de cassation approuve cette argumentation et censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 583 du Code de procédure civile.
Elle rappelle en effet qu’il résulte de cette disposition que si l’associé est, en principe, représenté par le dirigeant de la société dans les litiges opposant la société à des tiers, celui-ci est néanmoins recevable à former tierce opposition contre un jugement auquel cette société a été partie s’il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre. Or, la Haute juridiction relève qu’en l’espèce le plan de redressement adopté par l’arrêt du 30 novembre 2017 a porté atteinte à sa qualité d’associé et à son droit préférentiel de souscription. Elle en déduit donc que l’associé justifiait d’un « moyen propre » au sens de l’article 583 du Code de procédure civile et ce, peu important que chacun des autres associés ait disposé d’un droit préférentiel de souscription.
La Cour de cassation adopte un raisonnement pédagogique. L’on sait en effet que la voie de la tierce opposition est, par principe, réservée aux personnes qui justifient d’un intérêt à agir et qui ne sont ni parties, ni représentées au jugement qu’elles attaquent (CPC, art. 583, al. 1). C’est précisément pour cette raison que la jurisprudence retient, de façon classique, que l’associé est « représenté » par le dirigeant de la société dans les litiges qui opposent la société à des tiers et, partant, que sa tierce opposition est en principe irrecevable (Cass. com., 23 mai 2006, n°04-20.149). Par exception, la recevabilité de sa tierce opposition est admise lorsque l’associé invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre (CPC, art. 583, al. 1 in fine). Tel était précisément le cas en l’espèce dès lors que le plan de redressement de la société débitrice mettait en œuvre un coup d’accordéon au profit d’un tiers et avait donc pour effet de priver l’associé de ses titres sociaux et de son droit de souscription. Il importait alors peu que ce moyen ait d’ores et déjà été soutenu par la société dans le cadre de l’instance ou que d’autres associés aient disposé de ce même droit de souscription.
La solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce n’en reste pas moins novatrice. En effet, si la recevabilité de la tierce opposition formée par un associé avait été admise depuis 2006 pour les associés de société à responsabilité illimitée – lesquels sont, par nature, tenus indéfiniment aux dettes sociales (Cass. com., 19 décembre 2006, n°05-14.816 : décision rendue sur le fondement du droit à l’accès au juge reconnu par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme ; Cass. com., 6 octobre 2010, n°08-20.859 : décision rendue sur le fondement combiné de l’article 6§1 précité et de l’article 583 du Code de procédure civile) –, tel n’était pas le cas pour les associés de société à responsabilité limitée. La Cour de cassation innove donc en admettant, pour la première fois, la recevabilité de la tierce opposition formée par un associé d’une société anonyme (c’est-à-dire d’une société à responsabilité limitée) se prévalant d’un moyen propre.
A rapprocher : CPC, art. 583 ; Conv. EDH, art. 6§1 ; Cass. com., 23 mai 2006, n°04-20.149 ; Cass. com. 19 décembre 2006, n°05-14.816 ; Cass. com., 6 octobre 2010, n°08-20.859