Cass. com., 18 novembre 2020, n°18-24.301
La Cour de cassation considère que dans le cadre d’une cession d’entreprise, communiquer aux acquéreurs les documents comptables ne suffit pas à les informer sur la situation financière de la société. Il appartient aux cédants d’informer expressément les acquéreurs sur l’existence de l’état de cessation des paiements de la société, même si elle ne se trouve pas, au jour de la cession, en procédure collective. Cette absence d’information peut conduire à la nullité de la cession d’entreprise.
Une société a été cédée en décembre 2013 avant d’être placée en redressement judiciaire en mai 2014 puis en liquidation judiciaire en juillet 2014. La date de cessation des paiements a été fixée au 6 novembre 2012, par jugement du 7 mai 2014, soit postérieurement à la cession de l’entreprise.
Les acquéreurs ont été assignés en justice par les vendeurs pour n’avoir pas payé l’intégralité du prix de cession. A cette occasion, les acquéreurs ont quant à eux demandé la nullité de la cession, estimant avoir été victimes d’un dol. Le dol consiste en une manœuvre pratiquée par l’une des parties pour faire contracter l’autre partie, qui peut se traduire par l’absence de révélation d’une information déterminante. Il est une cause de nullité de la convention passée lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.
Au cas d’espèce, la cour d’appel a relevé que les cédants avaient parfaitement connaissance de l’augmentation du montant des dettes et impayés échus entre le bilan 2012 et la cession de la société en fin d’année 2013, de laquelle découlait l’état de cessation des paiements, et ce même si la société n’était pas encore, au moment de la cession, en procédure collective et que la date précise de la cessation des paiements n’était pas arrêtée.
En conséquence, la communication du bilan de l’année 2012, lequel permettait d’avoir des informations sur les dettes de la société, n’était pas suffisante pour informer les acquéreurs en ce que ce seul bilan ne permettait pas de connaitre leur ampleur et leur ancienneté. La Cour d’appel en a déduit que les cédants se sont volontairement abstenus d’informer expressément les acquéreurs de l’évolution du passif entre 2012 et 2013 et de l’état de cessation des paiements existant pourtant dès avant la cession. Il est également reproché aux cédants d’avoir attesté, dans l’acte de cession, que la société ne se trouvait pas en état de cessation des paiements.
La cour d’appel est approuvée dans son raisonnement par la Cour de cassation qui considère que dès lors que le dol est bien établi dans son élément intentionnel, la cession de la société est nulle.
Cette décision, rendue en vertu du régime juridique du dol applicable avant la réforme du droit des contrats de 2016, lequel exigeait de véritables manœuvres de dissimulation d’informations déterminantes, peut paraitre sévère. Néanmoins, elle s’inscrit totalement dans l’esprit de la réforme du droit des contrats qui a encadré les négociations contractuelles et ainsi donné naissance à l’article 1112-1 du Code civil, lequel oblige la partie qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie à l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
A rapprocher : Article 1116 du Code civil (ancien) ; Article 1112-1 du Code civil ; Article L.631-1 du Code de commerce ; CA Riom, 12 septembre 2018, 3ème ch. civ., Société Py Negos ; Cass. com., 18 novembre 2020, n°18-19.766 (dans un sens contraire, rejet du dol)