Arrêt du 9 septembre 2020 n°1910206
Le créancier est sans intérêt à agir pour demander qu’il soit statué, par anticipation, au cours de l’exécution du plan de redressement de son débiteur, sur le principe et le montant de sa créance de dommages-intérêts.
Cet arrêt, publié au bulletin, est l’occasion pour la Haute juridiction de rappeler les conséquences de l’absence, dans les délais, d’une déclaration de créance antérieure à la procédure collective du débiteur.
Depuis la Loi de sauvegarde, la sanction attachée au défaut de déclaration de créance est l’inopposabilité de cette créance à la procédure collective et non plus son extinction. Au visa de l’article L. 622-26 alinéa 2 du code de commerce, cette inopposabilité de la créance s’impose au créancier « pendant l’exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus ». Ainsi, pendant toute la durée d’exécution du plan de redressement (ou de sauvegarde), le créancier n’est pas recevable à agir en paiement et ne recouvre son droit de poursuite individuel qu’en cas de résolution du plan.
C’est cette solution déjà énoncée par le passé (Cass. com. 6 juin 2018, n°16-23.996) que la Cour de cassation reproduit ici aux termes d’un attendu limpide :
« La cour d’appel a énoncé que Mme L… , qui n’a pas déclaré sa créance de dommages-intérêts pour malfaçons, de sorte qu’en application de l’article
L. 622-26, alinéa 2, du code de commerce, cette créance est inopposable à la société Leluan Map pendant l’exécution du plan de redressement de celle-ci et après si les engagements pris ont été tenus, ne pourra recouvrer son droit de poursuite individuel qu’en cas de résolution du plan. »
Mais la Cour de cassation va plus loin puisqu’elle apporte un enseignement important sur la question de la prescription de l’action du créancier recouvrant son droit de poursuite à l’encontre du débiteur en cas de résolution du plan de redressement.
Si la résolution du plan fait recouvrer au créancier, même forclos, son droit de poursuite individuel, encore faut-il que l’action ne soit pas atteinte par la prescription ; c’était tout l’enjeu de l’action introduite par le créancier dans les faits de l’espèce.
Sans nier que sa créance était inopposable à la procédure collective de son débiteur (faute de déclaration de créance) pendant toute la durée d’exécution du plan de redressement mais également après en cas de respect par le débiteur des engagements pris dans le plan, l’action initiée par le créancier forclos avait pour objectif d’interrompre la prescription de son action dans l’hypothèse éventuelle d’une résolution dudit plan de redressement. Aussi, soucieux de préserver ses droits futurs et éventuels que la prescription était susceptible d’atteindre, le créancier souhaitait voir reconnaitre – par anticipation – la responsabilité de son débiteur, sa qualité de créancier ainsi que le principe et le quantum de sa créance.
Si l’on peut avoir des doutes sur le fait de savoir si le créancier forclos peut bénéficier de l’interruption ou de la suspension de la prescription, faute de l’absence de déclaration de créance (en considération notamment des dispositions de l’article L. 622-25-1 du Code de commerce), la Cour de cassation tranche ici la question.
Considérant que, dans le cas d’une résolution du plan de redressement le créancier recouvre son droit de poursuite, la Cour de cassation précise alors qu’en pareille hypothèse ce dernier « pourra agir en paiement de dommages-intérêts contre la société débitrice, sans que puisse lui être opposée la prescription de son action, dès lors que, jusqu’à la clôture de la procédure collective, cette prescription aura été suspendue par suite de l’impossibilité dans laquelle elle se sera trouvée, comme tout créancier, y compris celui qui n’a pas déclaré sa créance, de poursuivre son débiteur. »
Pour la Cour de cassation, l’interruption de la prescription bénéficie ainsi à tout créancier de la procédure collective, y compris au créancier forclos. Par conséquent, les droits du créancier forclos étant protégés, son action introduite « par anticipation » dans le cours de l’exécution du plan de redressement de son débiteur, n’est pas recevable.
Cette solution est, à notre à sens, à saluer car elle s’inscrit et s’inspire directement de l’esprit des dispositions de l’article L. 622-21 du code de commerce : l’interdiction des poursuites individuelles (C. com. L 622-21- I) doit avoir pour corolaire de préserver la prescription de l’action pendant toute la durée de la procédure collective, ce que confirme le texte lui-même en précisant en son III que « les délais impartis, à peine de déchéance ou de résolution des droits, sont en conséquence interrompus » par l’effet du jugement d’ouverture.
A rapprocher : Article L.622-26 du Code de commerce ; Cass. Com. 9 sept.2020 n°19-10.206 ; Cass. com. 6 juin 2018, n°16-23.996