Le gel de l’état de cessation des paiements : applications pratiques

ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020

Jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois fixé à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 10 octobre 2020, la date de cessation des paiements, notion clé en matière de droit des entreprises en difficulté, sera appréciée en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020.

Si cette cristallisation temporaire apparaît opportune, et ce afin d’éviter que « l’aggravation de la situation du débiteur ou de l’exploitant, à compter du 12 mars 2020, ne lui porte préjudice » (Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020), on peut toutefois s’interroger sur ses applications pratiques, et plus généralement s’agissant de l’ouverture des procédures préventives et collectives dans ce contexte sanitaire exceptionnel.

« Aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite ». 

C’est dans le cadre de cette promesse, faite par Monsieur le Président de la République lors de son discours prononcé le 16 mars 2020, que l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de la procédure pénale, a modifié temporairement certains outils du droit des entreprises en difficulté, et plus particulièrement la date d’appréciation de l’état de cessation des paiements.

En effet, l’article 1 – I – 1° de l’ordonnance gèle au 12 mars 2020, et ce jusqu’au 10 octobre 2020, l’appréciation de la situation de l’entreprise aux fins de caractérisation de l’état de cessation des paiements, ce qui devra permettre aux entreprises, conformément aux termes du Rapport au Président de la République, : « de bénéficier des mesures ou procédures préventives même si, après le 12 mars et pendant la période correspondant à l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois, elles connaissaient une aggravation de leur situation telle qu’elles seraient alors en cessation des paiements ».


Cela signifie-t-il qu’aucune procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ne sera ouverte après le 12 mars 2020 ?

Non. L’ordonnance prévoit la possibilité pour l’entreprise, postérieurement au 12 mars 2020, de demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. On peut ainsi en conclure que seule l’entreprise est fondée à solliciter l’ouverture de ces deux procédures postérieurement au 12 mars 2020, ce qui semble exclure toute assignation d’un créancier, à cette fin, après cette date pendant toute la période de cristallisation de l’appréciation de l’état de cessation des paiements. 


Qu’en est-il des assignations ayant été signifiées aux entreprises avant le 12 mars 2020 par des créanciers aux fins d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ?

Compte tenu du contexte sanitaire et dans un objectif de protection des entreprises, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a précisé que « le choix a été fait pour les assignations déjà enrôlées de ne pas les étudier ». Ainsi, en principe, toute assignation signifiée à l’entreprise avant le 12 mars 2020 aux fins d’ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, ne devrait pas être suivie d’effet. Monsieur Patrick COUPEAUD, juge consulaire près le Tribunal de commerce de Paris et délégué général au traitement des difficultés des entreprises a néanmoins précisé à l’occasion d’un webinar organisé par le Barreau de Paris relatif à « La pratique du traitement des difficultés des entreprises devant le tribunal de commerce de Paris », que certaines demandes pourraient être étudiées en fonction de l’enjeu du dossier, et notamment si le traitement accéléré des droits d’un salarié  le nécessitait.


Dans quel cas l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire peut-elle s’imposer après le 12 mars 2020 ?

Si l’entreprise est libre, après le 12 mars 2020, de ne pas solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, et ce alors même qu’un état de cessation des paiements serait caractérisé, elle pourrait néanmoins avoir tout intérêt à solliciter l’ouverture d’une telle procédure lorsqu’elle n’est plus en mesure de faire face au paiement des salaires. En effet, dans ce cas, l’ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire permettra de faire intervenir l’AGS aux fins de prise en charge de la totalité des salaires impayés, contrairement au dispositif de chômage partiel qui ne permet pas une prise en charge totale des salaires.

A cet égard, il convient de préciser qu’en cas de mise en œuvre du dispositif de chômage partiel préalablement à l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, la partie du salaire non prise en charge dans ce cadre ne sera pas couverte par l’intervention de l’AGS.

Par ailleurs, il convient de préciser que si la sanction liée au dépôt de bilan tardif se trouve annihilée par le biais du « gel » temporel de l’état de cessation des paiements, le dirigeant reste tenu d’agir dans l’intérêt de l’entreprise. En effet, et l’ordonnance le précise expressément, il sera possible de revenir sur cette date dans l’hypothèse d’une fraude (et notamment d’une fraude aux créanciers).


L’ouverture des procédures préventives et collectives est-elle facilitée compte tenu des mesures de confinement ?

Oui. Combinées aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020, les dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020 permettent à toute entreprise, et ce jusqu’au 10 août 2020, de saisir la juridiction compétente aux fins d’ouvrir une procédure amiable ou collective par tout moyen, l’entretien ou l’audience pouvant ultérieurement se tenir par visioconférence ou, à défaut, par tout moyen de communication électronique ou téléphonique. Le débiteur peut également formuler ses prétentions par écrit sans se présenter à l’audience.

A cet égard, il convient de préciser qu’à ce jour, la plateforme en ligne tribunaldigital.fr, mise en place dès le mois d’avril 2019, permet aux entreprises de saisir toute juridiction consulaire, et ce aux fins d’ouverture d’une procédure collective.

S’agissant des procédures dites préventives, les greffes des juridictions consulaires ont mis en place une adresse électronique dédiée.

***

Il résulte de ce qui précède que le pouvoir exécutif a souhaité mettre les entreprises en mesure de faire face à la crise liée à l’épidémie de Covid-19 notamment grâce au « gel » temporel de l’appréciation de la date de cessation des paiements au 12 mars 2020 leur permettant ainsi de recourir à des procédures dites préventives, et ce malgré une aggravation de leur situation.

Cette volonté de protéger les entreprises contre tout risque de faillite semble, à date, porter ses fruits, le Conseil National des Greffes et Tribunaux de commerce ayant recensé sur le mois de mars 2020, l’ouverture de 2.453 procédures collectives contre 3.900 en mars 2019 sur l’ensemble du territoire national. A Paris, entre le 16 mars et le 21 avril 2020, il est dénombré à date 59 demandes d’ouverture de procédures préventives et collectives (très en recul par rapport aux chiffres de l’année précédente). On peut envisager que le nombre de demandes s’accélère prochainement, et en tout état de cause à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, car si les dispositifs d’aide et de soutien de l’économie doivent être salués, ils ne peuvent et ne pourront répondre à toutes difficultés de l’après crise.


A rapprocher : Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 ; Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 ; https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/commercial/26883/sophie-jonval-et-dieudonne-mpouki-il-faut-veiller-meme-dans-ces-circonstances-a-ne-pas-rompre-les-equilibres (Interview du 9 avril 2020 Sophie Jonval et Dieudonné Mpouki).

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