Cass. com., 23 octobre 2019, n°18-21.125 et n°18-17.926
Les deux arrêts rendus le 23 octobre 2019 (n°18-21.125 et n°18-17.926) par la Cour de cassation sont l’occasion de revenir sur les conditions de recevabilité de l’appel exercé par le débiteur à l’encontre d’un jugement arrêtant un plan de cession.
Ce qu’il faut retenir :
Les deux arrêts rendus le 23 octobre 2019 (n°18-21.125 et n°18-17.926) par la Cour de cassation sont l’occasion de revenir sur les conditions de recevabilité de l’appel exercé par le débiteur à l’encontre d’un jugement arrêtant un plan de cession. Dans une première espèce (n°18-21.125), la Cour rappelle que si le débiteur a qualité à faire appel d’un jugement ayant arrêté un plan de cession, conformément aux dispositions de l’article L.661-6 III du Code de commerce, ce dernier doit en sus justifier d’un intérêt personnel à exercer cette voie de recours. Puis, dans un second arrêt (n°18-17.926), la Haute juridiction rappelle l’application des règles drastiques imposant des charges procédurales aux parties, sous peine d’irrecevabilité de l’appel.
Pour approfondir :
- La Haute juridiction corrige sa jurisprudence : si le débiteur a qualité pour interjeter appel d’un jugement arrêtant son plan de cession, la recevabilité de cet appel suppose également qu’il justifie d’un intérêt personnel à agir (n°18-21.125)
Cet arrêt est l’occasion de rappeler et d’affiner les conditions de recours ouvertes au débiteur à l’encontre d’un jugement ayant arrêté son plan de cession.
Par application de l’article L.661-6 III du Code de commerce, l’appel d’un tel jugement est ouvert au débiteur qui a qualité pour exercer cette voie de recours.
On sait également que le pourvoi en cassation à l’encontre d’un arrêt statuant sur appel d’un jugement ayant arrêté un plan de cession n’est ouvert qu’au seul ministère public, sauf à justifier d’un excès de pourvoi par la cour d’appel (C. com. L.661-7).
Par un attendu de principe limpide, la Haute juridiction – qui n’hésite pas à revenir sur la solution qu’elle avait précédemment arrêtée dans cette même affaire (Cass. com., 12 juill. 2017, n°16-12.544) – suit les juges du fond, pour rappeler que la recevabilité de l’appel du débiteur n’est pas uniquement subordonnée à la qualité à agir reconnue par le législateur mais qu’elle s’entend également de la justification d’un intérêt propre à agir (CPC, art. 31 et 546).
Dans cette affaire, la société ADT qui exploitait un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie, avait été placée en redressement judiciaire par jugement rendu le 14 avril 2015.
Par suite de l’adoption de son plan de cession au profit de la société B selon jugement rendu le 14 décembre 2015, la procédure de redressement judiciaire de la société ADT avait été convertie en liquidation judiciaire le 23 février 2016.
Entre temps, la société ADT avait interjeté appel du jugement ayant arrêté son plan de cession.
Devant la cour d’appel de Lyon, l’appel de la société débitrice est jugé irrecevable aux termes d’un arrêt rendu le 28 janvier 2016, faute d’intérêt à agir.
Excipant d’un excès de pouvoir « négatif » affectant l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, la société ADT forme un pourvoi en cassation qui est reçu favorablement par la Cour de cassation au motif que la cour d’appel ne pouvait juger irrecevable l’appel de la société ADT dont la qualité à agir est expressément reconnue par l’article L.661-6 III du Code de commerce précité.
Mais les juges du fond, sur renvoi après cassation, persistent : l’appel du débiteur, qui a certes qualité pour agir, ne peut être recevable que si celui-ci dispose d’un intérêt propre à agir.
La Cour de cassation est dès lors de nouveau saisie par la société ATD.
Tenant compte des « controverses doctrinales » qu’avaient soulevées son précédent arrêt rendu le 12 juillet 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur sa solution dès lors « qu’en effet, si l’article L.661-6, III, du Code de commerce accorde au débiteur le droit de former appel, en vue de sa réformation, du jugement qui arrête ou rejette le plan de cession de son entreprise, mettant ainsi fin à toute difficulté quant à la qualité du débiteur à agir, ce texte n’exclut pas pour autant que, conformément à la règle de droit commun énoncée par l’article 546, alinéa 1, du Code de procédure civile, le débiteur doive justifier de son intérêt à interjeter appel ; qu’ayant retenu que la société ADT n’avait proposé aucun plan de redressement, ne s’était pas, non plus, opposée à la cession de l’entreprise et que les seuls intérêts soutenus à l’appui de l’appel étaient ceux de son dirigeant, en raison des cautionnements qu’il avait souscrits, et d’un candidat repreneur évincé, tous deux étant irrecevables à former un tel recours, la cour d’appel n’a pas, en déclarant l’appel de la société ADT irrecevable faute d’intérêt, commis d’excès de pouvoir, de sorte que le pourvoi n’est pas recevable ».
Cette solution doit être saluée ; les règles spécifiques des procédure collective (C. Com. L.661-1 III) ne peuvent exclure les règles classiques du droit commun de la procédure civile (C. Com. R.662-1) et particulièrement celles de la recevabilité, au visa des articles 31 et 546 du Code de procédure civile, du débiteur qui, en disposant du droit d’interjeter appel à l’encontre d’un jugement arrêtant un plan de cession, doit également justifier d’un intérêt personnel à exercer cette voie de recours.
Qualité et intérêt ne peuvent, en effet, être déconnectés.
Le pourvoi est dès lors irrecevable ; aucun excès de pouvoir n’étant caractérisé.
- Dirigeants et praticiens : vigilance, vos recours contre un jugement rejetant un plan de redressement et adoptant un plan de cession doivent suivre les modalités de la procédure à jour fixe (18-17.926)
L’arrêt de la Cour de cassation est clair : lorsqu’un même jugement rejette le plan de redressement et arrête le plan de cession, l’appel de ce jugement par le débiteur doit être instruit et jugé selon la procédure à jour fixe : « 2° L’appel des jugements arrêtant ou rejetant le plan de cession est soumis à la procédure à jour fixe » (C. Com. R.661-6 2° et 3°).
Par conséquent, la cour d’appel, constatant que la société E. n’avait pas recouru aux formes prescrites par les articles 917 à 925 du Code de procédure civile, comme l’article R.661-6, 3° du Code de commerce lui en faisait l’obligation, en a exactement déduit que l’appel n’était pas recevable ; le pourvoi en cassation est consécutivement irrecevable.
A rapprocher : Cass. com., 12 juillet 2017, n°16-12.544 ; CA Riom, ch. com., 29 juin 2007, n°2007-359398 ; CA Orléans, ch. com., 2 octobre 2008, n°08/02547 ; Articles L.661-6, III, R.661-6, 2 et 3 du Code de commerce ; Articles 31 et 456 du Code de procédure civile