Cass. com., 16 janv. 2019, n°17-16.334, FS-P+B: JurisData n°2019-000331
Selon l’article L.641-9 du Code de commerce, le dessaisissement ne concernant que l’administration et la disposition des biens du débiteur, ce dernier a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre, action attachée à sa personne, qui inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge, sans préjudice de l’exercice par le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure collective l’abandon en pleine propriété d’un bien propre appartenant au débiteur décidé par le juge du divorce à titre de prestation compensatoire, d’une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce.
La Haute juridiction rappelle une solution prétorienne dégagée d’un raisonnement apagogique, qui précise qu’un débiteur placé en liquidation judiciaire conserve, nonobstant son dessaisissement, certains droits propres. Plus encore, et au-delà d’un raisonnement apagogique, c’est par un raisonnement analogique, que la Cour de cassation reconnaît naturellement au débiteur en liquidation judiciaire la possibilité d’intenter seul une action en divorce ou y défendre, action attachée à sa personne, qui inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge.
En effet, si suivant la formule traditionnelle inscrite à l’article L.641-9 du Code de commerce, le jugement de liquidation judiciaire emporte de plein droit, pour le débiteur dessaisissement de l’administration el de la disposition de ses biens, et les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la procédure par le liquidateur, l’œuvre prétorienne est venue limiter sa portée en consacrant des droits propres du débiteur. Subséquemment la Cour de cassation a circonscrit les effets du dessaisissement au patrimoine stricto sensu et tend à élargir de plus en plus la catégorie des droits propres, avènement prétorien. Ainsi, l’absoluité traditionnelle et historique du dessaisissement commandée par l’intérêt des créanciers qu’il tend à conserver, se réduit considérablement devant l’œuvre du préteur.
En l’espèce, M. Y., marié à Mme X., avait été mis en liquidation judiciaire. Ultérieurement, le divorce des époux avait été prononcé, M. Y. étant condamné à verser une prestation compensatoire à son ex-épouse sous la forme de l’abandon en pleine propriété d’un bien immobilier lui appartenant en propre. Le liquidateur a demandé au juge-commissaire l’autorisation de procéder à la vente sur adjudication de cet immeuble. Ce dernier a fait droit à la demande du liquidateur en retenant que, M. Y. étant dessaisi, le jugement de divorce était, dans ses aspects patrimoniaux, inopposable à la procédure collective, de sorte que l’immeuble pouvait être vendu lors de la liquidation judiciaire. Cette décision a été infirmée en appel.
La Haute juridiction rejette le pourvoi aux motifs que « le dessaisissement ne concernant que l’administration et la disposition des biens du débiteur, ce dernier a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre, action attachée à sa personne, qui inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge, sans préjudice de l’exercice par le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure collective l’abandon en pleine propriété d’un bien propre appartenant au débiteur décidé par le juge du divorce à titre de prestation compensatoire, d’une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce ».
La rédaction de l’article L.641-9 du Code de commerce issue de la loi de Sauvegarde (L. n°2005-845, 26 juill. 2005 de sauvegarde des entreprises : JO 27 juill. 2005, p. 12187), qui a consacré la solution jurisprudentielle antérieure au I, alinéa 3 qui dispose désormais que « le débiteur accomplit […] les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur […] » aurait dû sonner le glas du contentieux fleuve connu sous l’empire de la loi antérieure. Or, malgré cette consécration légale qui reconnaît expressément au débiteur le droit d’exercer ses droits propres, il n’en est rien, tant la notion de « droit propre » est soumise à interprétation casuistique in abstracto.
Et conséquemment, ce droit propre d’agir en divorce s’appréciait stricto sensu et la Haute juridiction précisait jusqu’alors que les effets patrimoniaux d’un divorce étaient inopposables à la procédure collective, faute de mise en cause du liquidateur (Cass. com., 26 avr. 2000, n°97-10.335 : JurisData n°2000-001579 – Cass. com., 7 avr. 2009, n°08-16.510 : JurisData n°2009-047822 ; JCP N 2009, 1281). La chambre commerciale appliquait donc la sanction traditionnelle du dessaisissement, à savoir l’inopposabilité. Mais, la première chambre civile a estimé que le liquidateur n’avait pas à intervenir à l’instance (Cass. 1ère civ., 4 juin 2007, n° 06-18.515, FS-P+B : JurisData n°2007-039212) et qu’il devait former tierce-opposition à l’encontre des dispositions du jugement de divorce relatives aux conséquences patrimoniales dans le dessein de les rendre inopposables à la procédure (Cass. 1ère civ., 5 nov. 2008, n°06-21.256 : JurisData n°2008-045676). La chambre commerciale semble dorénavant se rallier à la première chambre civile, puisqu’aux termes de l’arrêt les effets patrimoniaux du divorce, alors même que le débiteur est dessaisi de la disposition de ses droits sur les biens lui appartenant au profit du liquidateur, sont opposables à la procédure. Le liquidateur ne peut certes remettre en cause la décision prononçant le divorce mais également son exécution patrimoniale qui constitue pourtant un acte de disposition et peut dès lors affecter les droits des créanciers. Ainsi, si seules les conséquences patrimoniales du divorce intéressent le liquidateur qui dispose donc de la faculté de s’opposer aux dispositions du divorce qui concernent le patrimoine du débiteur, il ne pourra le faire qu’en recourant à la tierce-opposition. Cette faculté échoit donc au liquidateur, qui peut seul former un recours sur les dispositions conséquentielles à caractère patrimonial, mais uniquement selon le régime procédural de la tierce-opposition. La Haute juridiction poursuit donc son œuvre visant à circonscrire strictement les droits propres du débiteur échappant à la règle du dessaisissement en incluant dans l’action en divorce, la fixation de la prestation compensatoire, qui relève de la compétence exclusive de l’époux en liquidation judiciaire et les conséquences patrimoniales de celle-ci qui relève du juge aux affaires familiales, et notamment l’abandon en pleine propriété d’un bien propre appartenant au débiteur au titre de la prestation compensatoire, sur lesquelles le liquidateur ne pourra plus qu’exercer une tierce opposition.
La chambre commerciale rompt ainsi avec l’inopposabilité attachée à la règle du dessaisissement et fait glisser cette inopposabilité de plein droit vers une inopposabilité relative qui suppose le recours à la tierce-opposition de l’article 589 du Code de procédure civile et la double démonstration de la fraude du débiteur mais également du conjoint divorcé. Si d’aucuns diront que cette analyse extensive de l’article L.641-9, I, alinéa 3 du Code de commerce est parfaitement équilibrée (S. Piédelièvre, obs. ss Cass. com., 16 janv. 2019, n°17-16.334, FS-P+B : JurisData n°2019-000331 ; JCP N 2019, act. 233), elle n’en demeure pas moins inique pour les créanciers. Le législateur encourage certes le débiteur à rebondir, mais la Cour de cassation ne doit pas pour autant favoriser « les petits arrangements entre époux » (P. Rubellin, obs. sous Cass. com., 16 janv. 2019, n°17-16.334, FS-P+B : JurisData n°2019-000331; LEDEN mai 2019, p. 5).
En privant le liquidateur de rattraper les conséquences patrimoniales d’une action indéfectiblement personnelle en ce qu’elles sont éminemment attachées à l’action elle même, la Haute Juridiction fait ainsi prévaloir les intérêts du conjoint divorcé, voire du débiteur, au détriment des créanciers. Le caractère personnel de l’action en divorce devient un obstacle dirimant à l’immixtion directe du liquidateur dans les affaires privées des époux, qui ne disposera plus qu’a posteriori d’une modeste possibilité d’ingérence indirecte et conditionnée via la tierce-opposition.